dièses contre les préconçus

« La minimisation de la douleur entraîne aussi des retards de diagnostic »


Sexisme, racisme, grossophobie (mais aussi validisme, LGBTQIphobie, psychophobie, classisme)... Une interne témoigne pour dénoncer les maltraitances qu'elle a observées au cours de ses stages.
par #Médecine 236 (pseudonyme) — temps de lecture : 4 min —

Si j’en crois mon expérience d’interne, les formes de discrimination dans le monde de la santé sont nombreuses – et elles peuvent s’additionner.

Pour ce qui est du sexisme, j’ai par exemple entendu dire de nombreuses fois au cours de mes stages qu’une patiente était une « chochotte », ou qu’elle « dit qu’elle a très mal, mais elle exagère ». La douleur est malheureusement minimisée chez les patientes par une bonne part des soignant·e·s. Cette minimisation a bien entendu des conséquences importantes : une douleur moins bien traitée, ou un retard de diagnostic (la douleur étant un signe de complications pour certaines maladies). Il n’est également pas rare d’entendre dire que les douleurs sont uniquement liées au stress, ou que des symptômes soient rapportés à un phénomène « psychologique ». Une patiente m’a ainsi raconté qu’on lui répétait régulièrement que ses douleurs abdominales étaient dues au stress : et quelques années plus tard, après de nombreuses consultations et divers médecins, on lui a diagnostiqué la maladie de Crohn.

Les personnes racisées, elles non plus, ne sont pas toujours soignées comme il se doit. J’ai vu quelques soignant·e·s parler de syndrome méditerranéen pour parler des douleurs des personnes noires, ou maghrébines, en spéculant qu’elles exagéraient leur douleur. Certains disent même qu’ayant la « peau plus épaisse », elles ressentent moins la douleur. Leur douleur est donc moins bien prise en compte. Les personnes Roms, les personnes immigrées, sont également parfois victimes de préjugés, moins écoutées.

Des discriminations trop nombreuses

La grossophobie est également très fréquente. Humiliation, culpabilisation, moquerie… Tout ceci a de nombreuses conséquences physiques et psychologiques sur les personnes concernées, le comportement des soignant·e·s ne faisant souvent qu’empirer leur détresse psychologique. J’ai par exemple entendu des patient·e·s me raconter être « engueulées » quand elles n’arrivaient pas à perdre du poids.

La psychophobie (discrimination des personnes avec une maladie psychiatrique) est aussi un problème récurrent. Des personnes qui ont une maladie psychiatrique sont souvent trop peu écoutées. Chaque symptôme est renvoyé à leur maladie psychiatrique (« c’est dans votre tête ») et des problèmes de santé peuvent ainsi passer inaperçus.

Pour ce qui est des personnes LGBTQI : là aussi, les discriminations sont loin d’être rares. Tout d’abord, elles sont souvent stigmatisées, moins écoutées et culpabilisées. Pour beaucoup de médecins, les relations homosexuelles évoquent directement les IST. De plus, une partie des personnes LGBTQI se voient refuser des consultations par des gynécologues ou des endocrinologues.

Le validisme est lui peu connu – alors qu’il est très présent. Les symptômes des personnes avec des maladies chroniques sont souvent minimisés, notamment quand elles vont aux urgences car elles ont consulté plusieurs fois auparavant pour des symptômes dits « non graves ». Leurs douleurs sont ainsi minimisées, et mal traitées. Pour les maladies rares, comme on les connaît peu, beaucoup de soignant·e·s préfèrent ignorer les symptômes, ou les sous-estimer, plutôt que de dire qu’ils et elles ne savent pas. Il y a aussi un certain mépris envers l’expertise qu’ont les patient·e·s de leur propre maladie.

Concernant le classisme, les personnes venant de milieux plus « favorisés » sont parfois plus écoutées, et subissent moins de paternalisme médical. La parole des personnes de milieux « défavorisés », elle, est parfois moins bien prise en compte. En fin de compte, moins de choses leur sont expliquées concernant leur propre état de santé. J’ai ainsi entendu de nombreuses fois des personnels soignants dire qu’un·e patient·e était « microcéphale », « pas bien cortiqué·e » ou « décérébré·e ».

Toutes ces stigmatisations entraînent une peur et une méfiance vis-à-vis des soignant·e·s. Les personnes qui ont déjà subi de la maltraitance médicale (et souvent à plusieurs reprises) appréhendent chaque consultation. Certain·e·s n’osent plus venir consulter par peur de revivre des maltraitances.

La minimisation de la douleur entraîne aussi des retards de diagnostic et des retards de prise en charge de cette souffrance. On imagine bien les conséquences psychologiques et physiques importantes à court et à long terme.

Maltraitance, discriminations… Cette source de stress entraîne aussi une perte de confiance en soi, voire état de stress post-traumatique.

Pistes de changement

La formation des personnels soignants joue un grand rôle dans ces discriminations. Dans nos études, le sexisme est omniprésent, à la fac, comme à l’hôpital. Le racisme, la psychophobie, la grossophobie, le classisme y sont aussi bien présents.

Pour changer les mentalités, il faudrait engager des campagnes de sensibilisation contre ces discriminations à la fac, à l’hôpital, et dans tous les services. C’est encore trop souvent nié.

Il faut en finir avec les « traditions carabines » sexistes. Retirer les fresques sexistes, les chants sexistes, interdire (réellement) le bizutage, les humiliations. Signaler les harcèlements, les discriminations, sanctionner les responsables. En général, quand il y a un problème de harcèlement dans un service, entre ou envers les étudiant·e·s par exemple, presque tout le monde le sait, mais il n’y a que très peu de sanctions. Au mieux lorsqu’il y a des plaintes, le ou les médecins harceleurs ne peuvent plus travailler avec des étudiant·e·s – mais ils exercent toujours.

Il faudrait également arrêter d’utiliser l’excuse de la confraternité pour ne pas sanctionner les responsables, alors que les personnes qui dénoncent ces violences sont elles régulièrement menacées et sanctionnées.

Il faudrait aussi plus écouter les témoignages de patient·e·s.

En fin de compte, beaucoup de choses doivent aujourd’hui évoluer – que ça soit par rapport au paternalisme médical, aux discriminations, au harcèlement, ou au plein pouvoir donné à certains médecins universitaires.

Médecine 236 (du nom de son pseudonyme sur Twitter) est interne en médecine.

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