dièses contre les préconçus

Féminismes et pop culture : vers une représentation juste des minorités ?


La journaliste Jennifer Padjemi démontre dans son premier livre que la pop culture joue un rôle essentiel dans notre perception des minorités – et qu'elle peut donc contribuer à faire évoluer la société.
par #Laurence Lesager — temps de lecture : 9 min —

Dans son ouvrage Féminismes et pop culture, Jennifer Padjemi, journaliste, nous fait part de ses réflexions, interrogations et conclusions sur ce qui lie la pop culture et les féminismes. Par des exemples concrets, elle nous montre que les médias ont tendance à perpétuer des stéréotypes et à délaisser les minorités, même si les années 2010 ont marqué un tournant.

Internet, tendance et féminismes

La pop culture est présente dans notre quotidien. Ce sont toutes ces images et ces médias que nous consommons à travers la télévision, les réseaux sociaux, les plateformes de streaming, les magazines ou les webzines. Toutes ces images nous entourent, nous définissent et nous influencent dans nos comportements. La pop culture est ainsi liée aux questions de société car c’est elle qui, par sa dimension divertissante, nous montre bien souvent ce qui va et ce qui ne va pas.

Pour Jennifer Padjemi, il n’y a pas une seule et unique façon d’être féministe. Chacun et chacune l’est à sa manière : « Je parle de féminismes au pluriel […] tout simplement [parce] qu’il y a différentes manières de le vivre selon son âge, sa condition sociale, sa racisation, son orientation sexuelle et son capital culturel. Le but reste le même : mettre fin à toutes les formes d’oppressions sexistes, racistes, patriarcales et capitalistes, même celles qui sont intériorisées, et permettre ainsi la libération de toutes les femmes. » L’explosion des réseaux sociaux (Twitter, Instagram, YouTube) ont permis aux voix inaudibles de se faire entendre (#MeToo, #BalanceTonPorc…) et de proposer du contenu bienveillant et pédagogique sur des sujets peu traités (ex : la sexualité, le plaisir féminin).

La place des femmes dans les médias

La révolution numérique via les réseaux sociaux a permis de mettre en lumière et de dénoncer les violences sexistes envers les femmes. Cependant, dans cette digitalisation du féminisme, on voit naître le phénomène de féminisme washing qui consiste à prétendre se battre pour des combats féministes à travers des messages d’empowerment dans le but de générer du clic et des revenus. En somme, utiliser le féminisme comme vitrine, comme appât.

La pop culture se heurte souvent à un problème de crédibilité lorsqu’elle souhaite aborder des questions féministes. Les nombreux discours et engagements d’Emma Watson, l’actrice emblématique de Hermione Granger dans la saga Harry Potter, ont pourtant permis de véhiculer un féminisme dit mainstream, c’est-à-dire accessible à tous, vulgarisé et diffusé autrement que par la voie académique. On retrouve également ce féminisme mainstream avec la pop-star américaine Beyoncé qui a fait connaître les textes de l’écrivaine Chimamanda Ngozi Adichie à un public plus large. Il est donc possible d’être une star de la pop et d’être féministe : les messages féministes véhiculés par les artistes sont même une bonne manière de toucher un public différent.

Jennifer Padjemi observe que les minorités ethniques sont plus représentées dans les médias outre-Atlantique et outre-Manche qu’en France. Si certaines séries ont joué la carte du « quota ethnique » pour faire vitrine, il est nécessaire de rappeler l’importance d’être correctement représenté et de sortir des stéréotypes, afin que chacun puisse s’identifier et se sentir inclus et visible dans la société.

C’est ainsi que de plus en plus de femmes passent devant et derrière l’écran. Elles sont journalistes, actrices, réalisatrices (Ava DuVernay, Phoebe Waller-Bridge…) et proposent un contenu audiovisuel au plus proche de la vie réelle. Elles cherchent ainsi à casser cette image de « la » femme, trop souvent donnée par les magazines féminins. Jennifer Padjemi évoque par exemple Grey’s Anatomy et son personnage Cristina Yang, qui incarne une figure féministe par son statut d’anti-héroïne éloignée des représentations stéréotypées des femmes asiatiques. C’est une femme forte et déterminée qui se bat pour elle-même. Elle ne laisse rien entraver sa carrière et est maître de ses décisions, comme lorsqu’elle décide d’avorter, choix qui est rarement montré à la télévision.

Des femmes noires souvent mal représentées

Moya Bailey et Trudy (du blog Gradient de Lair) ont proposé le terme de « misogynoir » pour désigner le fait que les femmes noires subissent une misogynie spécifique. Soit elles sont invisibles à l’écran, passent au second plan, en figurantes, soit elles sont visibles mais de manière caricaturale et offensante. Depuis quelques années, on a vu apparaître le phénomène du tokenism dans les pays anglo-saxons afin d’échapper aux accusations de discrimination. Le tokénisme est un effort symbolique d’inclusion des minorités dans les entreprises afin de se donner une image d’entreprise ouverte et inclusive. Cette mesure prise par les entreprises ne résout pas le problème mais le camoufle. Sous des airs d’inclusion et de représentation, c’est en réalité la discrimination et le racisme qui continuent.

Avec sa série Grey’s Anatomy, Shonda Rhimes est la première à avoir mis à l’écran des femmes noires non stéréotypées sur une chaîne familiale. Lors de ses castings, elle privilégiait – et privilégie toujours – le color blindness. La réalisatrice fait ses choix uniquement sur le talent de l’acteur ou de l’actrice. Dans son scénario, même si elle a un fort désir d’inclure les minorités, il n’y a pas de quotas de personnes noires, asiatiques, LGBT ou encore handicapées à avoir. Shonda Rhimes s’efforce de voir le talent et l’humain avant la couleur de peau. Cette dernière est cependant prise en compte après le casting pour constituer le personnage.

Les années 2010 ont ensuite marqué un tournant décisif dans la représentation des minorités dans les médias. On entre alors dans une ère où le respect et l’égalité sont mis en avant et la discrimination et les violences sexuelles sont dénoncées. La plateforme de streaming Netflix en a d’ailleurs fait sa politique et ligne éditoriale en proposant du contenu où les minorités sont à l’honneur. Évidemment, cet intérêt soudain n’est pas toujours motivé par un désir de représentation juste des minorités, mais est bien souvent utilisé dans le but d’attirer plus d’audience et ainsi d’accroître son chiffre d’affaires : les minorités sont bien souvent là comme « appât » pour attirer un nouveau public, même si les personnages proposés manquent en fin de compte souvent de profondeur ou de relief.

Les années 2000 avaient déjà vu l’émergence d’intrigues lesbiennes et gays dans la culture mainstream : Buffy, The L Word, Skins… La pop culture a contribué à rendre visible cette communauté même si dans ces années-là, seulement une partie de la communauté LGBT+ était représentée. Les rôles mis en avant correspondaient davantage à des clichés (comme le personnage gay qui est le meilleur ami et le confident de l’héroïne) et à une image fantasmée (par exemple les lesbiennes très sexualisées) qu’à une représentation juste. Les personnes transexuelles, transgenres, queer ou asexuelles ne sont alors pas visibles à l’écran. Cela viendra progressivement, avec par exemple la saison 3 de The L word en 2006 où Max est un personnage transgenre.

Le culte de la minceur

Les médias engendrent des complexes pour de nombreuses femmes. On nous montre un corps « parfait » auquel on devrait ressembler. Il faudrait être mince, belle, avoir une belle peau, de beaux cheveux, être souriante, faire du 36, être dynamique, jamais fatiguée, bref : être tout à la fois. Une idée de la perfection irréalisable qui nous est martelée en permanence.

Cette obsession du corps parfait et d’un standard de beauté unique a tendance à changer grâce au mouvement body positive, mais reste tout de même bien ancrée dans notre culture. Le body positive a pour but d’aider les femmes à s’accepter avec leurs formes et leurs rondeurs. Cependant, on peut voir une faille dans cette philosophie de l’acceptation de soi : le body positive tend plus vers le body normalize, et mène surtout à valoriser des femmes faisant du 42 et du 44. Le body positive se révèle alors être un moyen de valider les corps qui sont dans la moyenne de la population. Même si le mouvement a aidé à faire accepter un panel de tailles plus large, les représentations des corps féminins restent éloignées de la réalité. Dans les médias, le corps des femmes est utilisé et montré uniquement lorsque ces corps correspondent aux fantasmes et aux normes imposées par la société. Les autres corps (gros, handicapés, mutilés, etc.) sont censurés.

Ce culte de la minceur s’est récemment manifesté avec l’incroyable perte de poids de la chanteuse Adèle. Dans un post sur Instagram, pendant le premier confinement, on peut voir Adèle avec quelques kilos en moins. Il n’en faudra pas moins pour enflammer la toile. Son travail et sa carrière de chanteuse semblent alors passer au second plan, et on la félicite de cette perte de poids car maintenant elle rentre dans les “standards”, dans la norme des corps. Instagram est ainsi le réseau social de la comparaison, et une incitation à la chirurgie esthétique.

On trouve peu de séries télévisées où les personnages principaux sont gros. Cette censure de ces corps contribue aussi au culte de la minceur et à l’exclusion. Si on est gros, on est pas représenté, on n’existe pas, on n’a pas notre place. La série Shrill inspirée du livre Shrill : Notes from a Loud Woman de Lindy West nous raconte le quotidien d’une héroïne grosse et bien dans sa peau, ce qui va à l’encontre des stéréotypes qui représentent les gros comme malheureux, mal dans leur peau et non épanouis sexuellement.

Sexualité et consentement

Les années 2010 ont marqué un tournant dans notre rapport à notre sexualité. Si beaucoup reste encore à accomplir, les représentations sont de moins en moins centrées sur l’hétérosexualité et le regard masculin. Cette tendance va à l’encontre des nombreuses publicités où les femmes étaient et continuent d’être sexualisées – que ce soit pour une pub de glace ou un film porno – et où elles ne représentent rien d’autre qu’un corps destiné à assouvir les désirs des hommes. Le mouvement #MeToo en 2017 dénonce cette culture du viol et permet aux victimes de violences sexuelles de se faire entendre. Ce mouvement a marqué les esprits et consciences, et a été source d’inspiration pour de nombreuses séries (ex : Girls, The Affairs).

Par les réseaux, la parole autour de la sexualité a pu être libérée. Là où les cours de SVT ne sont pas à la hauteur pour enseigner la sexualité. Rares sont les manuels où le clitoris, ou les moyens de se protéger lorsqu’on a une relation homosexuelle, sont mentionnés. Il y a une réel tabou sociétal dans l’éducation sexuelle des jeunes. La plupart s’éduquent grâce aux films pornographiques et se construisent alors une image erronée de la femme et de son plaisir. Sur les réseaux, on peut trouver du contenu traitant de ce sujet avec bienveillance. De nombreuses séries en ont aussi fait leur sujet : Sex Education, Euphoria, Normal People, I May Destroy You, Unbelievable, etc. Autant de contenus accessibles qui, de manière divertissante, enseignent (Sex Education, Normal People), aident (Unbelievable), préviennent et dénoncent (Euphoria, I May Destroy You). 

L’importance de la pop culture dans la société

La pop culture joue un rôle majeur dans notre perception du monde, notre éducation et notre relation à soi et aux autres. Elle est un enjeu politique, social et féministe car elle reprend et englobe les questions de société et véhicule des images qui nous conditionnent. Il est donc important qu’elle propose une juste représentation de la population. Un combat qui n’est pas encore totalement gagné : « La pop culture reste le dernier bastion pour un changement radical, car elle offre la possibilité de visibiliser les histoires dont on ne parle jamais, de raconter les vécus des personnes qu’on ne voit jamais, de vulgariser les concepts qui permettent de comprendre les maux de notre société, de les populariser et les normaliser. »

Laurence Lesager est une libraire passionnée de littérature, d’arts et de culture. Elle est aussi la fondatrice de STRAEH, un magazine numérique consacré aux arts et à la culture sur fond de réflexions sociétales.


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