Je ne me doutais pas, au moment où j’ai perdu ma carte de séjour l’an dernier, de l’enfer bureaucratique qu’est la France pour les personnes migrantes.
J’ai d’abord dû déclarer cette perte à la police. La sous-préfecture du Havre m’a ensuite donné un numéro de téléphone à appeler pour obtenir un rendez-vous, seul moyen pour renouveler une carte de séjour.
Ce numéro n’est ouvert que les lundis matin. Et pour décrocher un rendez-vous, c’est la loterie. Des centaines de personnes appellent en effet au même moment pour essayer de renouveler leurs papiers. Je devais donc me lever dès 5h30, de façon à être bien réveillée pour être la première personne à appeler à 8h. Tout cela pour, après 40 minutes d’attente, entendre quelqu’un me dire que tous les créneaux avaient été attribués.
Au bout de quinze jours, j’ai décidé de rassembler quelques amis qui ont appelé ce numéro en même temps que moi pour multiplier mes chances.
C’est d’ailleurs un ami qui, après trois semaines, a réussi à décrocher un rendez-vous pour que je puisse renouveler ma carte de séjour.
J’ai envoyé tous les documents nécessaires dans les temps, et j’étais censée recevoir ma nouvelle carte avant le mois de juin. Mais je suis aujourd’hui sans nouvelles. Cela signifie que si je recherche un boulot, je ne pourrai pas être embauchée. Et si je suis contrôlée, la police est libre de faire du zèle sur ma face de négresse.
On a des délais à respecter pour pouvoir renouveler nos cartes de séjour, mais la préfecture, elle, ne respecte rien.
On subit tout ce stress et toutes ces complications, alors même que les timbres fiscaux pour les cartes de séjour coûtent plus de 200 euros.
Ce n’est pas le seul problème que je vis, au Havre, en tant que migrante. Alcéane, le bailleur social de la ville, exploite par exemple beaucoup de logements insalubres. Je vis dans l’un d’entre eux. La moisissure est partout, et prend à la gorge. Les acariens m’ont fait vivre plusieurs nuits blanches. Les punaises de lit m’ont même contrainte à dormir dans la rue en juillet 2020. J’ai dû me réfugier dans des bus ou sur des bancs publics alors que mon loyer était payé, simplement parce que mon bailleur ne voulait pas faire son travail. J’ai en fin de compte dû jeter tous mes meubles, sans que personne ne me rembourse.
Tous ces problèmes m’ont rendue phobique. Je suis maintenant terrifiée à l’idée que des acariens se trouvent dans mon lit (beaucoup sont invisibles à l’œil nu). Je reste parfois pétrifiée pendant des heures sur mon matelas, et passe un temps énorme à nettoyer mes draps / mes vêtements ou à les mettre sous vide.
Et pendant ce temps, le bailleur se fait une fortune sur le dos des personnes comme moi.
J’ai plusieurs fois tenté de trouver une solution auprès de mon assistante sociale et de la mairie. J’ai aussi envoyé plusieurs courriers à des associations qui défendent le droit au logement, ainsi qu’à mon ARS (Agence Régionale de Santé). J’ai même pu obtenir un entretien avec un député de la ville. Tous ces efforts sont restés sans réponse. Même ma démarche auprès du commissariat du Havre pour porter plainte contre mon bailleur n’a pas abouti. Les policiers ont refusé de prendre ma plainte, soi-disant parce qu’elle ne relèverait pas du pénal. J’ai depuis appris que ce refus était illégal.
En fin de compte, pour beaucoup de monde, le mot d’ordre, c’est : sois pauvre et tais-toi.
En France, les possibilités de se défendre lorsqu’on n’est pas instruit sont infimes. Encore plus lorsqu’on est noir, et que la crainte de la police est viscérale en raison de toutes les violences policières qu’on subit au quotidien.
N’ayant pas assez d’argent pour prendre un avocat, nous sommes pour ainsi dire livrés à nous-mêmes.
Nadja Rave habite au Havre.