Lorsque je suis arrivé pour la première fois à Chicago en juillet 2011, Barack Obama était président des États-Unis depuis deux ans déjà. À l’aéroport O’Hare International, après les formalités à la police aux frontières, mon époux et moi nous dirigions vers la sortie quand un officier de police lui demanda de le suivre dans une salle pour une fouille de ses bagages. Je lui dis que je le retrouverais à la sortie, confiant que tout se passerait bien. Il n’avait rien de compromettant dans ses valises et le seul problème qu’il aurait pu avoir était d’être allé en Inde. Pour les États-uniens, une visite de l’Inde peut représenter un risque de traverser la frontière avec le Pakistan et, par conséquent, un risque d’être un terroriste. Ces formalités étant passées, plus rien d’inquiétant ne pouvait arriver.
Toutefois, en me dirigeant seul vers la sortie, je me rendis compte que je ne savais pas si, en fait, il serait conduit vers la même que moi. J’admets que je n’étais pas rassuré car c’était la première fois que je me rendais aux États-Unis et que ce n’était que mon deuxième grand voyage. Pour être certain de notre point de retrouvailles, je décidai de revenir sur mes pas afin de demander à un autre officier, présent un peu avant, si j’allais bien dans la bonne direction. Ma valise en main, je l’interpellai, inconscient que le fait d’être derrière lui, sans qu’il ne me vît arriver, me mettait en danger. Quand il se retourna et qu’il m’aperçut, sa réaction fut de mettre sa main sur son arme.
À cet instant précis, son geste, agissant comme un miroir, me renvoya une image tronquée de mon apparence. Je suis un homme, grand, certes pas musclé mais assez athlétique – et noir. Je le savais déjà, cependant, pour la première fois de ma vie, j’ai eu peur parce que je savais quelles acceptions ce policier pouvait faire de ma physionomie. Il n’a pas été le seul pendant ce séjour à avoir une réaction si vive à mon encontre, même si les autres personnes auxquelles je m’adressais n’ont pas forcément porté la main à leurs pistolets. Je vécus alors ce que les médias montrent souvent de certains rapports entre Noirs et Blancs aux États-Unis ; ce que j’avais entendu était donc vrai.
Si je n’étais plus si jeune – j’avais 28 ans et, venant d’une famille martiniquaise de classe populaire, je n’avais pas été confronté au monde dans son ensemble, protégé que j’étais dans ce cocon où, malgré le colorisme quelque peu présent sur l’île (cette distinction entre personnes d’une même ethnie pour lesquels les différentes nuances de couleur de peau sont primordiales), tout le monde était noir –, cette expérience me fit prendre conscience de deux principes fondamentaux. Le premier fut de me rendre compte qu’il m’avait fallu vivre cette réaction raciste pour mieux comprendre ce dont il s’agissait vraiment, non pas de façon conceptuelle mais de manière factuelle. Je reprends les mots de Frantz Fanon dans Peau noire, masques blancs pour que l’on comprenne mieux mes émotions. Quand cet officier de police toucha son arme, « [m]on corps me revenait étalé, disjoint, rétamé, (…). Le nègre est une bête, le nègre est mauvais, le nègre est méchant, le nègre est laid1Fanon, Frantz. Peau noire, masques blancs. Paris : Seuil, 1952, p. 91-92. ». À la somme de toutes mes expériences en tant qu’individu venait s’ajouter la marque physique et cette appréhension que certains Blancs pouvaient avoir de mon corps noir. Le deuxième principe était justement lié à ce renvoi vers une partie de moi et non vers le tout. Si en France je me définis comme noir, néanmoins en prenant en compte la créolité de mon patrimoine culturel et de mes origines, aux États-Unis je n’étais pas perçu autrement que par cette couleur de peau et je n’avais pas d’autre choix que de taire mon métissage ethnique et culturel.
Il ne s’agit pas de dire que le racisme n’existe pas dans les sociétés et les institutions européennes, bien au contraire. Seulement, pendant la majeure partie de ma vie (je suis arrivé en France métropolitaine à l’âge de 23 ans), en plus de la présence d’ancêtres noirs et esclaves dans mon histoire familiale, mon identité s’était construite autour d’une grand-mère aux origines indiennes, d’un grand-père milat2En créole martiniquais, ce terme venant du français « mulâtre » désigne des personnes à la peau claire, dont le métissage est apparent. Cependant, ce ne sont pas forcément des personnes dont un parent est blanc et l’autre noir. Actuellement, le mot renvoie surtout à cette couleur de peau particulière., d’oncles blancs, de cousins métis. Ma culture était ainsi faite de ce mélange de divers horizons culturels commun à la plupart des Martiniquais. Mes proches et moi-même ne nous déterminions pas uniquement par le qualificatif « noir ». La réappropriation de mots comme coolies, chapé-coolies, chabines, qui autrefois étaient péjoratifs3Coolie est un terme dépréciatif désignant les ouvriers à petites soldes d’origine indienne qui s’installèrent dans les colonies après l’abolition de l’esclavage en 1848 et remplacèrent la main d’œuvre noire. Aujourd’hui le terme a en grande partie perdu son aspect péjoratif dans les Antilles françaises, même s’il retient tout de même une différenciation entre Noirs et Indiens. Chapé-coolie désigne une personne dont un parent est noir et l’autre indien. Enfin, les chabins sont des personnes métissées à la peau claire et aux cheveux clairs (comprendre, non noirs) et crépus. Il faut noter que, malgré l’évolution du sens de ces termes, ils gardent dans certaines situations de vie des significations un peu dévalorisantes., montrait d’une part cette diversité de la population martiniquaise dans son ensemble – et de ma famille en particulier –, et d’autre part cette reconnaissance de la pluralité des couleurs de peau et de la créolité de la culture. Dans le cadre états-unien, le métissage est aussi de mise, bien que sa reconnaissance ne se fasse pas de la même façon4La loi de la goutte de sang (la « one-drop rule ») est, pour une part de la société états-unienne, la croyance que toute personne ayant un·e ancêtre noir·e, même lointain·e, est noire, même si son apparence physique est blanche. Ce précepte était à la base de certaines lois ségrégationnistes du début du XXe siècle. Mark Twain, auteur de la fin du XIXe siècle et prônant l’égalité entre Noirs et Blancs (cf. ses Aventures d’Huckleberry Finn par exemple), en a fait une satire dans son roman La Tragédie de Pudd’nhead Wilson et la comédie des deux jumeaux extraordinaires (The Tragedy of Pudd’nhead Wilson and The Comedy Those Extraordinary Twins) publié en 1894., or comme dans nombre de sociétés, le rapport de domination entre personnes de couleur et personnes blanches est un élément structurant.
Si les penseurs africains américains Stokely Carmichael et Charles V. Hamilton ont proposé l’expression de « racisme institutionnel » dès 19675Carmichael, Stokely et Charles V. Hamilton. Black Power: The Politics of Liberation. New-York : Vintage Books, (1967) 1992 (aussi publié en français en 2009 sous le titre Le Black Power : pour une politique de libération aux États-Unis par la Petite Bibliothèque Payot)., les éléments raciaux6Ce texte s’inscrivant dans un contexte états-unien, l’usage du terme « race » y est corrélé. Dans ce pays, les individus sont davantage qualifiés par rapport à une race que par une ethnie. Le terme n’est pas seulement vecteur d’apparence physique, il prend aussi en compte une situation socio-culturelle propre à ces individus. Ainsi, lorsque j’utilise le mot « race », il doit être entendu en ce sens. restent encore très prégnants dans la culture du pays. Si on peut y retrouver des éléments de colorisme comme celui présent aux Antilles françaises, les stéréotypes aux États-Unis sont cependant d’autant plus marqués que la société est multi-ethnique et qu’un groupe domine les autres sur les plans économiques et ethnoculturels, les privant ainsi de la reconnaissance de leurs spécificités et de leurs valeurs propres.
C’est généralement par cette acception que l’on peut définir comme essentialisante, que les individus noirs sont définis dans les sociétés occidentales, à l’aune des divers stéréotypes. Dans cette optique, et notamment avec la mise en place de l’industrie du cinéma hollywoodien et de l’exportation des idées états-uniennes dans le monde – dans la continuité de la « Destinée manifeste »7La Destinée manifeste (Manifest Destiny) était une croyance de la mission divine des États-Uniens de conquérir et civiliser tout l’ouest de l’Amérique du Nord, jusqu’à la Californie. C’est l’une des justifications utilisées pour légitimer la saisie des terres amérindiennes, le déplacement des populations natives, voire leur extermination. L’idéologie sous-jacente étant que la culture et le mode de vie états-uniens étaient supérieurs à ceux des autres peuples. –, la diabolisation de la « figure noire » s’est principalement faite par l’image de l’« homme noir ». J’insisterai ici surtout sur les représentations de ces hommes noirs aux États-Unis en tant que modèles dominants du racisme anti-noir et des images négatives qu’il véhicule. Cela ne signifie pas que les femmes noires n’en sont pas victimes. Elles sont tout autant les cibles des minorisations fondées sur des critères raciaux. Du fait d’une société patriarcale et machiste, mon objectif ici est surtout d’insister sur la stigmatisation des hommes noirs comme origine de la violence dans les communautés urbaines africaines américaines.
Mon observation des masculinités noires découle de celle de la présence des hommes noirs dans les médias, à la lumière d’événements tragiques où le résultat était, souvent, la mort de ces individus. J’insiste bien sur le pluriel de ces masculinités car, comme j’ai commencé de le montrer, elles sont aussi abondantes qu’il y a d’hommes noirs, excluant, de la sorte, toute tentation d’essentialisation des individus africains américains
Brutalité/bestialité
Dans le film Naissance d’une nation (The Birth of a Nation) qui sort en salle en 1915, Gus (un ancien esclave devenu capitaine dans l’armée du Nord pendant la guerre de Sécession) poursuit Flora, une jeune fille blanche, de ses appétences tout autant affectueuses que sexuelles. Désespérée par ses avances, elle préfère se tuer en sautant d’une falaise plutôt que de subir les ardeurs de cet homme noir, laid et dont l’intelligence même est remise en question. Après son décès, les hommes blancs de la communauté se mettent à la recherche de Gus et, quand ils le trouvent, décident de le juger selon les règles établies par le Ku Klux Klan nouvellement créé, le lynchent, puis abandonnent son corps sans vie sur les marches de la maison du lieutenant-gouverneur. Signe de représailles contre les Africains Américains et ceux qui les aident dans les États du Sud pendant la période de la Reconstruction8La Reconstruction est la période de douze ans (1865-1877) qui a suivi la guerre de Sécession. Il s’agissait pour le Nord de « reconstruire » le Sud en donnant des droits aux Africains Américains nouvellement libérés du joug de l’esclavage, tels que la pleine citoyenneté, le droit de vote, ainsi que l’accession à la propriété et à l’éducation., il s’agit surtout d’une vengeance contre des Noirs qui sont perçus comme des bêtes brutales et dangereuses pour les frêles femmes blanches.
Faisant l’apologie du Sud d’avant la guerre de Sécession et adulé par Woodrow Wilson – le président des États-Unis de l’époque, dont le dédain pour les Noirs est clairement énoncé –, ce film reprend des codes déjà installées d’une certaine littérature états-unienne pour les amener à un public encore plus large. En faisant cela, son réalisateur, D. W. Griffith, met en lumière des outils qui seront au fondement des films hollywoodiens jusqu’à nos jours. Ainsi, outre les questions d’esthétique et de mise en scène, le film met en images la représentation des hommes noirs aux États-Unis comme des brutes à la violence inhérente, des menaces pour les valeurs morales, culturelles et sociales de la société blanche – particulièrement celle du Sud.
Dans la littérature déjà, La Case de l’oncle Tom d’Harriet Beecher Stowe, bien qu’abolitionniste, montrait des stéréotypes d’hommes noirs mis en esclavage, ceux de gentils imbéciles heureux, individus dociles et enfantins, qu’il fallait protéger. Pendant la Reconstruction et avec l’acquisition du droit de vote et de la citoyenneté par les Africains Américains, ils sont toutefois apparus comme dangereux car ils figuraient une perte de pouvoir par les anciens propriétaires d’esclaves. La métaphore de la brute s’est ainsi développée en y incluant l’attaque de la pureté des femmes blanches, elles-mêmes symboles, puisque garantes, de la société WASP9Acronyme de « White Anglo-Saxon Protestant », un terme qui désigne les individus blancs, d’origine britannique pour la plupart, autour desquels la société états-unienne a été construite. sur le point d’être détruite par les ardeurs et la corruption de ces anciens esclaves. Plus tard, dès le début du XXe siècle, notamment lors de la Grande migration des Noirs vers le Nord afin de trouver du travail et de fuir la ségrégation qui minait le Sud, ils étaient en outre vus comme des concurrents par les Blancs des milieux populaires10Smiley, CalvinJohn et David Fakunle. « From “brute” to “thug:” The demonization and criminalization of unarmed Black male victims in America », in Journal of Human Behavior in the Social Environment. 2016, Vol. 26, n°3–4, p. 353. http://dx.doi.org/10.1080/10911359.2015.1129256. Non traduit..
Ce sont de telles représentations qui ont à la fois minimisé l’individualité de chacun de ces Africains Américains et potentialisé les dérives racistes. Retrouvées dans les arts populaires, et notamment dans le cinéma hollywoodien qui va s’exporter dans le monde entier, elles deviendront les lieux communs, les concepts sur lesquels se fonderont les croyances sur les hommes noirs. Ainsi, ma présence dans une salle de concert symphonique n’en a-t-elle pas interpellé plus d’un ? N’ai-je pas moi-même subi le racisme ordinaire de cette femme dans une rue sombre qui pensait que je m’approchais d’elle avec de mauvaises intentions ? Parce qu’homme et noir, je devenais cette menace très souvent dépeinte dans les films hollywoodiens, un prédateur sexuel incapable de comprendre les cultures occidentales « les plus raffinées » et seulement capable de faire du mal aux femmes blanches.
« Thugs », pères indignes… et les autres ?
À cela s’est rajoutée la criminalisation des sujets masculins noirs. L’installation des populations africaines américaines dans les ghettos comme Harlem à New York ou la South Side à Chicago, les problèmes sociaux qui en ont découlé, les pertes d’emploi, la misère des familles, les guerres de gangs, la vente et la consommation de produits stupéfiants, la guerre contre les drogues qui s’est intensifiée dès la présidence de Ronald Reagan au début des années 1980, entraînant la surpopulation des prisons ; tout cela fait partie des éléments qui ont conduit à un autre changement de la perception des hommes noirs aux États-Unis – une criminalisation institutionnelle, allant de pair avec le racisme.
Ainsi, du fait de ces clichés et des situations sociales difficiles dans les ghettos (notamment les emprisonnements fréquents et les changements des modèles familiaux), les années 1980 et 1990 ont aussi mené à l’image de pères noirs ne prenant pas soin de leurs enfants et de mères africaines américaines « welfare queens », reines des allocations. Ces stéréotypes ont d’ailleurs amené à une transformation des politiques sociales du pays alors même que des réalisateurs et des rappeurs noirs qui dénonçaient le racisme dans leurs œuvres étaient de plus en plus visibles et expliquaient les origines des problèmes sociaux des Africains Américains. On peut citer par exemple Spike Lee, qui a mis en scène les relations raciales dans le ghetto dans son film Do the Right Thing (1989), au rythme de la musique et du message de Public Enemy et leur chanson « Fight the Power ». Si ces nouveaux modes de communication pour transmettre le message contre les violences faites aux Noirs ont eu un impact certain sur de nombreux jeunes des quartiers défavorisés des grandes villes, l’émergence du gangsta rap des années 1990, style musical relativement véhément, misogyne et homophobe, affichant la violence des gangs et les armes à feu, a eu un effet délétère sur les masculinités noires parce qu’elles ont été limitées à ces mêmes violences.
Les hommes noirs aux États-Unis ont encore été réduits à ces images caricaturales qui ne favorisent pas leur individualité. Parfois, c’est la pression interne engendrée par la communauté africaine américaine elle-même qui a empêché l’épanouissement et la différenciation des individus. Bien que la recherche de cohésion communautaire soit compréhensible et qu’elle permette encore de porter les demandes d’ensemble du groupe socio-culturel, elle a aussi eu pour effet d’exclure certains comportements, certains traits chez les sujets masculins africains américains. En conséquence, dès les années 1920 et encore plus à compter des années 1960, les hommes noirs aux États-Unis se devaient de montrer une certaine forme de virilité, proscrivant ainsi des marques sentimentales et émotionnelles jugées féminines. Ce sont ces facteurs de masculinité hégémonique qui ont été repris par nombre d’artistes hip hop. Des rappeurs comme Snoop Dog, 50 Cent ou Dr. Dre, voire des chanteurs de R&B comme Usher ou Jason Derulo, ont mis en valeur une forme de patriarcat machiste qui chosifiait les femmes.
La domination vécue par ces femmes est associée à la mise au ban des homosexuel·le·s au sein des communautés africaines américaines. Quand les formes d’homosexualité féminine sont relativement acceptées puisqu’elles inspirent le fantasme chez certains hommes noirs11Je ne prends pas en compte ici les personnes ultrareligieuses que l’on peut retrouver dans les groupes baptistes et méthodistes par exemple. Pour aller plus loin ici, on peut se référer au début d’analyse que propose Lauron Kherer dans KEHRER Lauron, « A Love Song for All of Us?: Macklemore’s “Same Love” and the Myth of Black Homophobia », in Journal of the Society for American Music. 2018, Vol. 12, n° 4, p. 425-448. https://doi.org/10.1017/S1752196318000354. Non traduit., l’homosexualité masculine est taboue car perçue comme dévalorisante pour les causes liées aux questions de race : c’est une déviance des mœurs qui, du fait de la pénétration d’un homme par un autre, lui fait perdre sa virilité et ne peut, en conséquence, n’être associée qu’aux cultures blanches. De cette manière, les hommes noirs queer ont été contraints de se dissocier des représentations de masculinités africaines américaines pendant de nombreuses années. On peut par exemple citer la diatribe d’Eldridge Cleaver, en 1968, à l’encontre de James Baldwin qu’il considérait comme malade et anti-noir parce qu’il était homosexuel. Pourtant, nul ne peut dénier à Baldwin une écriture qui, bien qu’universelle, s’attache avant tout à défendre les intérêts moraux, sociaux et culturels des Africains Américains.
Ce sont des critiques semblables qui s’élèvent actuellement à l’encontre du jeune rappeur Lil Nas X (entre autres cibles). De nombreux mèmes circulent sur les réseaux sociaux, tantôt le comparant aux rappeurs d’antan tel Tupac alors adulé comme modèle archétypal de la masculinité noire, tantôt décriant sa musique, qui ne peut pas véhiculer de bons messages en raison de son homosexualité. On le comprend alors, l’archétype du Noir, même s’il diffère d’un groupe racial à l’autre, construit une entité qui n’existe finalement pas. La communauté africaine américaine est construite par des individus qui, pour un grand nombre, partagent une culture sociale, un folklore, des réalités existentielles, mais qui doivent aussi être pris en compte dans leur individualité.
L’exportation des idéaux états-uniens dans le monde du fait du capitalisme et de la politique de la Destinée manifeste a brouillé les pistes dans les autres pays, voire à l’intérieur même des communautés. L’amalgame entre les personnes d’ascendance africaine peut être dangereux dans la construction des sujets eux-mêmes, malgré la pseudo-facilité que le vocable semble donner. Tous les hommes noirs doivent alors, selon cette croyance, être les mêmes. N’en ai-je pas fait l’expérience avec les poses de rappeur qu’on me demandait de prendre lors d’un séjour en Russie ; moi, homme noir gay, loin justement de ces lieux communs, sujet des moqueries des autres Noirs eux-mêmes durant mon enfance ?
Il faut donc affirmer, encore et toujours, les différences entre les personnes noires, non pas pour créer des dissensions entre elles, mais afin qu’elles accèdent enfin au statut d’êtres humains et non plus de symboles négatifs restrictifs.
Yannick Blec est docteur de l’Université Paris-Est et professeur certifié d’anglais détaché à l’Université Paris 8.