Ce billet provient des ateliers d’écriture menés par la ZEP (la Zone d’Expression Prioritaire), un dispositif média d’accompagnement à l’expression des jeunes de 15 à 25 ans qui témoignent de leur quotidien comme de toute l’actualité qui les concernent.
En CM2, après les vacances de Noël, le professeur a lancé un débat sur ce qu’il se passait à ce moment-là en France. Les moqueries ont commencé : « Ah, il a le même nom que Célia ! » ; « Célia, t’es sûre c’est pas ton cousin ? » ; « C’est des tueurs ! » ; « De toute façon, Marine Le Pen va t’envoyer en Afrique. » Et plein d’autres trucs de ce genre.
C’était en 2015, une année rythmée par les attentats. Parmi les terroristes, l’un d’eux portait le même nom de famille que moi. Il y a eu une période où je vivais limite du harcèlement moral. Ce qui me faisait le plus mal, c’était que le prof voyait tout mais ne disait rien. Au bout d’un moment, il m’a virée du cours car, selon lui, il y avait du bavardage à cause de moi.
En rentrant chez ma famille, nous en avons parlé et nous nous sommes rendu compte que nous avions tous reçu des remarques désagréables. Il y en a certains qui l’ont pris au sérieux et d’autres non, qui ne se sentaient pas vraiment concernés.
Non, ce n’est pas mon cousin
Dans le collège de Neuilly-sur-Marne où j’ai fait ma quatrième, j’ai aussi eu des remarques sur mon nom de la part de certains de mes camarades. Les profs ont vu et n’ont pas agi. Je me rappelle qu’une fois, un professeur s’est permis de me demander si un de ces tueurs de 2015 était mon cousin. Et ça a amusé les autres.
La même année, je devais effectuer un stage de découverte. Ce jour-là, je suis entrée dans une entreprise pour demander s’ils prenaient des stagiaires. Le patron m’a dit quelque chose qui ne m’a pas du tout plu. Il m’a regardé, a ri nerveusement et m’a sorti : « Tu te rappelles de ces terroristes en 2015, nan ? » Je l’ai regardé profondément pour comprendre où il allait en venir. Il a repris la parole en prononçant mon nom de famille affilié à ce fameux terroriste pour me dire : « Ça ne te dit rien ? »
J’ai réellement senti de la rage dans son regard. Je ne comprenais pas ce qu’il voulait me faire comprendre, et je savais aussi qu’il n’allait clairement pas me prendre. J’ai dit un simple « au revoir » et suis sortie. Cette année, je pars en stage, et je suis actuellement à la recherche d’un emploi. Je ne veux pas me retrouver dans ce type de situation car c’est super embarrassant pour moi. Quand j’envoie mon CV ou que je passe certains entretiens, j’ai peur. Il y a même des moments où j’ai envie d’utiliser le nom de jeune fille de ma mère car, pour moi, ça va mieux passer.
Honte de mon nom de famille
Pendant un moment, je n’assumais plus. Limite, je complexais sur mon nom car je ne voulais pas que ça soit un sujet, et surtout parce que les gens n’ont pas de limites. Je ne voulais plus qu’on me prenne la tête.
Avant ces attentats, je n’avais jamais eu de remarques sur mon nom. Je prends la parole aujourd’hui, sept ans après, car ça va continuer. Dans ce pays, les choses fonctionnent comme ça et ça ne changera pas. Je ne suis pas la seule à souffrir des préjugés racistes.
J’avais une amie en primaire qui avait aussi reçu les mêmes paroles que moi car elle avait le même nom de famille que le terroriste. Je m’étais mise dans la tête que c’était normal. Des années plus tard, je réalise que ce n’est pas du tout bon. Pour l’instant, ça s’est arrêté, mais avec tout ce qu’il se passe en ce moment sur le racisme et l’islamophobie, ça peut recommencer à tout moment.
Célia est lycéenne à Noisy-le-Sec.