dièses contre les préconçus

« Le communautarisme, c’est dans le lycée privé »


En intégrant un lycée privé, Micha a découvert l’argent, le pouvoir, le confort. Mais aussi la solitude des enfants riches, les inégalités et le communautarisme.
par #Micha M. — temps de lecture : 5 min —

Ce billet provient des ateliers d’écriture menés par la ZEP (la Zone d’Expression Prioritaire), un dispositif média d’accompagnement à l’expression des jeunes de 15 à 25 ans qui témoignent de leur quotidien comme de toute l’actualité qui les concernent.

J’ai commencé le lycée dans le public avec des gens de mon quartier. On avait tous la même vie, les mêmes galères, pas de vacances, pas de thunes. C’est quand j’ai fait ma rentrée scolaire en lycée privé, à 19 ans, que j’ai vraiment pris une claque.

La différence entre ma vie et celles des autres dont les parents gagnent bien était frappante. J’ai payé de ma poche mes années de lycée alors que, mes camarades, c’était leurs parents qui finançaient. Je travaillais tous les jours à McDo après les cours, même le week-end. Au lycée, personne ne savait que je bossais. Ils n’ont su que quand mes notes ont baissé, parce que j’étais trop fatigué pour réviser. Je travaillais aussi pour aider mes parents à payer le loyer, les courses et pour passer le permis… Mes camarades, eux, avaient tout dans les mains, alors qu’ils n’avaient que 16 ans.

Devant le lycée privé, être déposé en Lamborghini

J’ai mal vécu mes années en lycée privé à cause de la différence d’opportunités. Ils avaient plus de possibilités de réussite, vu qu’ils étaient focalisés sur les études. S’il y avait un voyage scolaire, ils savaient très bien qu’ils pouvaient y aller, sans même réfléchir au montant. Ils pouvaient avoir les voitures de leur choix, sans se soucier du prix, et sortir le week-end sans aucune limite pour gaspiller.

Un jour, je sortais du bus pour le lycée. Une heure de transport dans le meilleur des cas ! J’arrivais devant le lycée, déjà ça parlait des prochaines vacances dans la maison à papa à Hossegor. Ils ont tous des maisons là-bas, la ville de riches à la mer – pour moi en tout cas. Et là, j’ai vu arriver une Lamborghini grise ! C’était quand même quelque chose. Un mec de ma classe en est sorti, son père l’avait conduit au lycée dans cette bagnole ! Pour moi, c’était une voiture de footballeur. Ah tiens, justement : son père est footballeur. Pour moi, une Lambo c’est pour bombarder, pas pour rouler à 30 en allant au lycée et se la montrer. Pour eux, c’était la norme : devant le lycée, tu ne vois pas des Clio comme au quartier.

Ils n’avaient pas la valeur de l’argent, alors que moi, je transpirais pour toucher un Smic.

Une piscine et des télés partout

Une autre fois, j’étais chez un collègue. Déjà, il y avait une piscine dans son jardin. Nous, on avait la piscine municipale et elle était dégueulasse, sale, vieille, avec la pisse des autres. Ensuite, il avait des télés dans TOUTES les pièces, sauf les toilettes ! La plus choquante, c’était celle de la cuisine. Moi, je ne manquais pas de télé ni rien, mais chez eux c’était absurde, de la débilité pour se la péter.

Une autre fois, j’ai amené un des jeunes du lycée au quartier parce qu’il voulait vendre. Ça les fascinait tous. Au final, il a travaillé quatre jours. Gratos. Il s’est fait avoir par tout le monde sur le quartier, il a perdu 600 balles. Il a compris la leçon. Il n’a pas réessayé, a repris sa petite vie, passé son bac et profité des sous de ses parents.

Mais, le pire, c’est le pouvoir qu’ils avaient, et ont toujours. Comme celui de mettre la pression au directeur du lycée pour me faire virer parce ce que je dénonçais le racisme des profs et des élèves. C’est cette expérience qui m’a mis en dépression. Je buvais quand j’étais au lycée, entre les pauses de midi pour oublier mon échec scolaire et la déception de mes parents de ne pas me voir réussir dans les études.

Derrière le vernis, la tristesse

Quitter ce milieu scolaire m’a fait du bien car j’ai pu vraiment me concentrer sur ma vie : passer mon permis, travailler à temps plein et venir en aide à ma famille. Ça m’a fait passer vite à autre chose. Et ce qui est intéressant, c’est que même si tout ça, ça brille, c’est beau et ça fait de belles apparences, même s’ils ont de la thune et du pouvoir, derrière tout ça, ils étaient tristes. Presque tous les parents étaient divorcés, leurs enfants ne les voyaient jamais.

Je n’en aurais pas voulu de cette vie. Jamais jamais jamais. Au collège peut-être, mais au lycée j’avais capté. Il n’y a pas moyen. J’ai besoin du lien avec mes parents, ma famille, qu’ils ne manquent de rien. Moi, j’ai peut-être galéré mais, aujourd’hui, je sais où j’en suis, j’ai la famille, le bled. Eux, ils n’ont que du matériel, et pas le bonheur.

Le communautarisme, c’est dans le lycée privé

Malgré tout ça, je sais que, mon neveu encore en primaire, je veux qu’il aille dans le même collège et le même lycée. Parce que, en vrai, sur un CV, ce qui compte c’est que ce soit un établissement privé, que le nom du lycée soit écrit, avec tout ce qui se cache derrière, en termes de classe sociale élevée, d’argent, de parents d’élèves influents qui fonctionnent en réseaux.

J’ai vu de l’intérieur l’établissement privé, comment ça fonctionne et la violence de différence de classes sociales. Mais, ce qui compte vraiment, c’est qu’il est classé dans le top des meilleurs lycées de la région, c’est la réussite avec de meilleures opportunités.

Mon expérience m’a prouvé que ce que je vois et entends à la télévision dans les chaînes infos sur le communautarisme lié à l’islam, c’est faux. C’est chez eux, ceux qui ont l’argent et le pouvoir, que j’ai vécu du communautarisme. Pas religieux, mais social et économique.

Micha, 22 ans est en formation à Bordeaux.


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