dièses contre les préconçus

Une épidémie de discriminations


À l'occasion de la journée mondiale de lutte contre le sida, Elise Marsicano nous rappelle que les personnes qui vivent avec le VIH sont souvent discriminées au sein même de leur famille.
par #Elise Marsicano — temps de lecture : 5 min —

En 1987, Jonathan Mann déclarait qu’après l’épidémie de l’infection à VIH, après celle de la maladie du sida, viendrait celle des réactions socioculturelles et économiques à la maladie, avec notamment des phénomènes de discrimination et de stigmatisation.

Alors que l’on célèbre aujourd’hui la 33e journée mondiale de lutte contre le sida, la question des discriminations auxquelles sont confrontées les personnes atteintes du VIH est malheureusement toujours d’actualité.

Derrière cette question, trois interrogations se dessinent. Actuellement, en France, quelles sont les personnes qui vivent avec le VIH ? Où font-elles l’expérience de discriminations ? Et quelles leçons pouvons-nous en tirer pour les luttes contre les discriminations ?

Les personnes vivant avec le VIH : une condition commune, des situations sociales diverses

En France, comme dans les autres pays européens, l’épidémie de VIH/sida est concentrée dans certaines parties de la population. Les migrant·es – notamment d’Afrique subsaharienne -, les usagers et usagères de drogues injectables, les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes, les prostituées, les femmes trans… Tou·te·s font partie de ces populations considérées comme étant les plus exposées au VIH depuis le début de l’épidémie.

Si la maladie VIH elle-même, ainsi que la symbolique associée à la séropositivité ont beaucoup évolué depuis les débuts de l’épidémie, les personnes qui en sont atteintes sont toujours victimes de nombreuses discriminations. En France, des niveaux élevés de discriminations sont toujours rapportés par les personnes atteintes, mais également par les acteurs de terrain, dans divers domaines, notamment l’emploi et le domaine de la santé. L’épidémie étant concentrée dans certaines catégories de la population, les personnes qui vivent avec le VIH doivent faire face non seulement à des attitudes de rejet ou à des traitements inégalitaires liés à leur séropositivité, mais sont également confrontées au sexisme, au racisme et à l’homophobie.

Ainsi, bien qu’elles partagent une condition commune liée à l’expérience de cette maladie et des comportements qu’elle peut susciter, ces personnes relèvent de minorités très différentes. Qu’y a-t-il alors de commun entre une personne migrante en situation de précarité résidentielle, administrative et financière et celle née en France qui connaît une certaine stabilité socio-économique ? Ou entre une jeune femme hétérosexuelle qui découvre sa contamination lors de sa grossesse et un homme homosexuel plus âgé, dont une partie de ses amis sont morts du sida dans les années 1990 ? En outre, certaines populations sont particulièrement invisibilisées dans la lutte contre le sida lorsqu’elles se retrouvent à l’intersection de ces différentes catégories. En d’autres termes, on peut très bien être homosexuel et Africain ou usagère de drogue et migrante.

La diversité de ces populations permet de comprendre celle de leurs expériences. Ces personnes subissent des discriminations liées à leur séropositivité, mais également au fait d’être homosexuel·le et/ou migrant·e et/ou femme. Par ailleurs, il faut faire très attention à ne pas considérer la séropositivité comme étant forcément ce qu’il y a de plus central dans le vécu de ces personnes. Le sexisme, le racisme, les LGBT-phobies, le classisme ou le validisme peuvent occuper une place bien plus importante dans leur expérience que la sérophobie.

Si les personnes atteintes du VIH rapportent faire l’objet de nombreuses discriminations de la part de professionnel·les de santé ou de collègues de travail, elles en subissent également de la part de membres de leur famille (spoliation du partenaire du même sexe lors du décès, refus de partager un repas avec lui ou de le laisser embrasser les enfants, etc.), et ce aussi bien au niveau matériel que relationnel.

Une solidarité matérielle refusée, une visibilité familiale déniée

C’est dans la famille que l’on apprend très vite à rester à sa place (d’enfant, d’épouse, de grands-parents, etc.).

Les exemples de traitements inégaux au sein de la famille sont nombreux, allant du plus trivial au plus lourd de conséquences : c’est-à-dire, de l’argent de poche réparti inégalement entre les petits-enfants en raison de l’origine des beaux-enfants jusqu’aux personnes lésées lors de donations du vivant, en passant par l’absence de participation au cadeau de mariage dans le cas d’un couple du même sexe. Cette absence ou ces différences d’investissement financier traduisent bien une inégalité de traitement entre les personnes d’une même famille ; et ce, en raison d’un critère qui serait considéré comme illégal dans l’accès aux soins, au logement ou à un emploi.

Dans nos recherches sur les personnes vivant avec le VIH, les discriminations familiales affectent particulièrement les femmes dans leur ensemble, ainsi que les hommes homosexuels ou usagers de drogue. À l’inverse, les hommes hétérosexuels qui ne consomment pas de drogue, qu’ils soient ou non migrants, sont les moins exposés aux discriminations ; ce qui peut être interprété à la lumière de leur position dominante dans l’espace familial hétérosexuel.

L’analyse de ces discriminations permet alors de mettre en lumière ces hiérarchies sociales qui sont reproduites dans la famille.

Quelles leçons pour la lutte contre les discriminations ?

Comprendre la situation des personnes atteintes du VIH est important pour la lutte contre les discriminations. Ces personnes, du fait de leur appartenance à des groupes minoritaires, cumulent différentes caractéristiques qui les exposent aux discriminations. Et ces personnes peuvent se situer à l’intersection de catégories bien distinctes. Par ailleurs, le fait qu’elles vivent également des situations discriminatoires au sein de la famille permet de débusquer tous les contextes dans lesquels on retrouve ces discriminations.

Ainsi, le vécu des personnes atteintes du VIH nous invite à penser les discriminations au sein de la famille, et plus précisément dans le couple et les relations affectives ou sexuelles. Les récents débats sur les discriminations sur les sites de rencontre montrent l’importance de cette question.

Elise Marsicano est socio-démographe et maîtresse de conférences à l’Université de Strasbourg.


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