Partons d’un fait : nos sociétés sont fondées sur plusieurs systèmes de dominations entraînant différentes sortes de discriminations. Ainsi, ces discriminations cohabitent, se superposent et rythment la vie des personnes considérées comme dominées.
La hiérarchisation de critères tout à fait subjectifs contribue à l’exclusion de certains qui se voient empêcher d’accéder à des domaines essentiels de la vie : l’accès au logement, l’accès à un travail et une rémunération décente et/ou équitable, l’accès à certains corps de métiers ou encore à certains endroits du monde. Elles créent également un sentiment d’infériorité, d’injustice et de frustration chez les personnes qui les subissent.
Le colorisme est une de ces nombreuses formes de discrimination, et produit exactement les mêmes effets.
L’actrice Lupita Nyingo a décrit le colorisme comme « la petite sœur du racisme », en ce que le colorisme découle du racisme et que, comme lui, il constitue un système d’oppression. On peut définir le colorisme comme une hiérarchisation des carnations entre des personnes issues d’une même communauté, et ce en raison de la teinte plus ou moins foncée de leur peau. Les personnes les plus claires, sans être blanches, sont considérées comme plus belles, intelligentes, fiables, désirables.
Les personnes foncées, à l’opposé, se retrouvent en bas de cette pyramide des couleurs de peau, avec l’idée qu’elles sont moins désirables que les personnes de peau claire. Le colorisme joue dans toutes les sociétés non blanches dans lesquelles on trouve des peuples avec un large panorama de carnations (sociétés d’Asie, notamment d’Asie du Sud, sociétés d’Afrique, sociétés d’Amérique latine, etc).
Le colorisme, un système d’oppression à part entière
Il ne s’agit pas ici de racisme, même si le colorisme en découle. On parle bien d’un système d’oppression à part entière, et qui est réellement présent et ancré dans les sociétés non blanches.
À titre d’exemple, on peut citer la Côte d’Ivoire, le Sénégal ou encore l’Inde, pays dans lesquels les personnes claires ou éclaircies via la dépigmentation sont surreprésentées dans l’espace télévisuel et cinématographique.
Le colorisme mène en effet à une pratique : la dépigmentation. Celle-ci, démocratisée depuis les années 1960, désigne tous les procédés visant à altérer la coloration de la carnation chez les utilisateurs.
Ces derniers utilisent alors des produits de formes variées, telles que des crèmes, des injections, des gélules, des savons ou encore des comprimés, afin d’éclaircir l’épiderme en modifiant ou détruisant les cellules à l’origine de la production de mélanine.
Les produits utilisés le sont généralement sans aucun avis médical, sans aucun respect de la posologie et sans aucun contrôle des autorités quant à la composition des produits.
La plupart des produits éclaircissants sont dérivés de médicaments qui sont utilisés pour leurs effets secondaires, à savoir la modification de la production de mélanine dans l’organisme et, ainsi, le blanchiment de la peau.
De nombreux inconvénients se présentent à l’usage de produits dépigmentants, tels que l’hyperpilosité, des glaucomes, des taches pigmentaires prononcées, un affinement de la peau qui peut entraîner des difficultés à cicatriser, ou encore des vergetures. En plus de ces inconvénients d’ordre physique, les risques pour la santé sont réels : cancers, diabète, hypertension, eczéma, obésité chronique…
Écouter les personnes concernées
Parce que chacun a le droit à une vie paisible, Esprit d’ébène souhaite sensibiliser ses différents publics à la question de la dépigmentation sous un angle différent.
Loin de jeter l’opprobre sur les utilisateurs de produits éclaircissants, il s’agit davantage pour nous d’ouvrir le débat sur la thématique, de délier les langues et d’apporter des solutions viables.
Stop Dépigmentation est une campagne que nous avons lancée en 2017 dans le but de prévenir et d’accompagner les personnes qui ont ou ont eu recours à ces pratiques afin de les avertir des risques souvent méconnus et/ou négligés.
Le projet s’inscrit dans un processus d’accompagnement de ces personnes en organisant des ateliers et événements en partenariat avec des professionnels de santé et du bien-être tels que des dermatologues, des médecins, des infirmiers, des maquilleuses et socio-esthéticiennes.
Avec le soutien de ces professionnels, l’objectif est de mettre en avant la thérapie par la parole et la volonté de substituer la routine utilisée par les consommateurs de produits dépigmentants par une nouvelle routine, plus respectueuse de leur organisme.
Nous mettons également l’accent sur le fait que ces pratiques ont des conséquences sur la santé mentale en ce qu’elles créent une forme d’addiction. En effet, on remarque une disproportion entre le résultat escompté, à savoir avoir une peau claire, et le résultat obtenu qui est souvent inesthétique.
Avoir un jour un monde sans dépigmentation
Les consommateurs de produits éclaircissants n’hésitent pas à aller au devant de tous ces risques et persévèrent dans leur pratique, prêts à sacrifier leur santé. À travers nos travaux, nous cherchons à comprendre pourquoi. Pourquoi continuer à se dépigmenter pendant une grossesse en sachant que les produits passent dans le sang et constituent un risque de mort ou d’handicap pour l’embryon ? Pourquoi continuer la dépigmentation alors que sur la peau apparaissent des taches verdâtres ? Pourquoi continuer la dépigmentation alors que des vergetures ravagent le corps et que la peau ne cicatrise plus correctement ?
À travers notre combat, nous souhaitons déconstruire les phénomènes sociaux concernés de sorte à remonter à la racine du problème. Étudier la dépigmentation s’apparente ainsi au jeu des poupées russes : on part d’un problème donné et on en découvre d’autres au gré des recherches et des témoignages.
Peu de chiffres sont disponibles sur la dépigmentation en France. C’est pourquoi nous veillons à être proches des communautés cibles sur les réseaux sociaux afin de créer un environnement propice à la confiance, à la confession et à l’entraide. Cela nous permet aussi d’obtenir plus de clés sur les raisons qui poussent à se dépigmenter la peau.
La réglementation cosmétique européenne interdit l’achat et la vente de certains composants présents dans les produits dépigmentants. Malheureusement, force est de constater, ces dernières années, l’émergence d’un marché souterrain qui prospère via les réseaux sociaux. Internet devient une plate-forme pour des personnes qui vendent des produits sans aucune indication.
Nous veillons à toujours faire preuve de compassion et de bienveillance dans notre démarche. Même si le combat reste rude, nous gardons espoir d’avoir un jour un monde sans dépigmentation.
L’association Esprit d’ébène a pour objectif l’insertion sociale et professionnelle des jeunes (en particulier issus de l’immigration) par la réalisation d’événements socio-culturels.
Article rédigé par Karine L.