dièses contre les préconçus

« On nous considère comme des colonies »


Eau impropre à la consommation, formations et hôpitaux en nombre insuffisant, racisme de la métropole, vie chère... Il est temps que l'État prenne ses responsabilités, et voit enfin les Antilles comme une partie à part entière du territoire français.
par #Nynna L. — temps de lecture : 6 min —

La Guadeloupe. Son nom éveille des envies de tourisme et d’exotisme aux oreilles de ceux qui n’en sont pas originaires, quand, pour ses propres habitant·e·s, il est souvent synonyme d’enfer. Un département français de près de 400 000 habitant·e·s délaissé par la République ? Que signifie donc l’égalité dans ces territoires qu’elle réclame comme siens si même le minimum vital comme l’accès à l’eau et aux soins vient à manquer, avec le silence complice de nos élu·e·s ?

Je me présente : Nynna, 25 ans, originaire de l’île de la Guadeloupe. J’y ai vécu toute mon enfance puis j’ai emménagé en métropole, où j’ai fait ma scolarité.

En matière d’éducation, il était très commun pour les jeunes d’emménager en métropole pour étudier. Nous avions peu de formations disponibles dans un certain nombre de domaines. Ma « mutual »1Personne qu’on suit sur Twitter et qui nous suit aussi, NDLR. Amy sur Twitter m’a aussi fait remarquer que, si l’offre d’études réduite nous force souvent à quitter nos îles, on se retrouve ensuite, une fois diplômé·e·s, ‘à subir des discriminations en métropole. Dans mon cas, j’ai dû quitter la France pour aller à l’étranger (au Canada), comme le font beaucoup de locaux.

Une vie plus chère aux Antilles qu’en métropole

Ayant vécu aux Antilles pendant des années, j’ai souvent été confrontée avec ma famille à la vie chère. Même jusqu’à aujourd’hui, je reçois souvent des messages désespérés de ma famille au sujet de la hausse continuelle des prix. Un produit de nécessité basique peut facilement coûter deux fois plus qu’en métropole. Et les prix peuvent encore augmenter en période cyclonique, ou même en période de fêtes.

Pour justifier ces prix, j’ai toujours entendu les propriétaires desdits magasins prétendre qu’ils étaient dus à l’importation. Mais des prix si exorbitants sont inadmissibles. Je n’ai pas pu retourner en Guadeloupe depuis 3 ans (vu le prix des billets et le Covid), mais la dernière fois que j’y étais, mes céréales pouvaient par exemple coûter 6 euros le paquet. Les taxes sur ces produits font aussi partie du problème.

Il y a certes des magasins où les produits sont moins chers que dans les grandes enseignes, mais les prix restent tout de même énormes comparés à ceux pratiqués en métropole. Et on ne verra peut-être jamais de magasins hard discount s’installer ici, à cause du monopole de certaines familles et sociétés qui, depuis plusieurs années, empêchent le développement de la Guadeloupe de différentes manières. Cela passe par exemple par le blocage de marchandises sur les docks, ou par la privatisation de certains lieux et de certaines plages. Au Gosier, des remparts ont même récemment été construits pour privatiser des plages locales, avant que les habitant·e·s et que la mairie ne s’en mêlent.

Et c’est sans évoquer les nombreuses vidéos sur les réseaux sociaux de locaux qui avaient subi des discriminations et du racisme sur leurs propres lieux de résidence, car des métropolitain·e·s doutaient du fait qu’iels vivaient à cet endroit. On entend peu ces histoires en métropole, car dans les médias nous sommes peu représenté·e·s. On parle peu de nos îles.

Des hôpitaux en mauvais état

Sur les chaînes nationales, les reportages sur nos îles portent plus souvent sur le tourisme que sur les problèmes auxquels nous faisons face, comme par exemple la vie chère, l’incendie du CHU, les sargasses, le chlordécone et plus encore. On nous considère plus comme des colonies que comme des territoires ultramarins et des êtres humains à part entière. Certains métropolitain·e·s sur place ne s’en cachent pas.

Le CHU, lui, a brûlé le 28 novembre 2017. Depuis, on ne peut pas dire que la situation a évolué pour l’accès aux soins sur l’île. Le nouvel hôpital (qui sera plus petit que l’ancien CHU de Pointe-à-Pitre) n’est toujours pas terminé, alors que la fin des travaux était normalement prévue pour 2020. Il y a bien des cliniques et un hôpital à Basse-Terre, mais c’est trop peu pour l’ensemble de la population. Nous devions déjà décentraliser certains soins en métropole avant, et c’est toujours pareil aujourd’hui.

Bien avant que le CHU parte en fumée, le personnel et les patient·e·s disaient déjà que l’hôpital manquait de moyens et de matériels et qu’il était en piteux état. Et les choses ont empiré avec la crise sanitaire. Si les hôpitaux ont parfois manqué de place en métropole, les choses étaient encore bien pire en Guadeloupe, ce que l’État a préféré ignorer en autorisant quand même les vacancier·e·s à poser le pied sur notre territoire.

Je me souviens aussi d’une controverse il y a quelques années pour savoir qui de la Martinique et la Guadeloupe récupérerait un cyclotron (un appareil pour détecter des cancers), étant donné le manque de budget pour la santé. Même à ce moment, je trouvais inadmissible que nous n’ayons pas toutes deux la possibilité de recevoir cet appareil. Et la promesse finalement faite par François Hollande d’implanter un cyclotron sur les deux territoires n’a pas encore été respectée.

Des problèmes récurrents d’eau courante

Les problèmes d’eau courante sont aussi fréquents, alors qu’il s’agit d’un besoin vital. Il sont là depuis plusieurs années à cause de l’état des canalisations qui doivent être remplacées. Certaines communes n’ont pas d’eau courante pendant des semaines, et même des mois. Quand je rentre chez moi, nous devons remplir des bouteilles pour être sûr·e·s de pouvoir prendre une douche. Ce n’est pas normal. Et il est encore moins normal que certaines communes soient prioritaires face à d’autres. Lorsque je vivais en Grande-Terre, on avait un calendrier pour savoir quelles communes auraient de l’eau et à quel moment, et on s’est rendu compte que certaines communes touristiques, elles, ne manquaient pas d’eau.

L’État a sa part de responsabilité à prendre face à nos îles et aux ravages qu’il leur inflige ou leur a infligés, par exemple avec le chlordécone. L’État refuse d’assumer ses fautes, et je ne peux qu’avoir honte de la manière dont il nous traite. Il y a des études, des documentaires et des reportages sur l’empoisonnement de la population, y compris par le taux de sucre élevé de nos produits par rapport à ceux de la métropole.

Face à tout cela, nous avons les médias, où l’on assimile la réticence des habitant·e·s à se faire vacciner à leur culture plutôt qu’à la désinformation, et où on ne prend pas en compte le comportement de l’État vis-à-vis des territoires ultramarins, ses mensonges, son indifférence, son manque de soutien. L’image de la population et de nos îles qu’ont les métropolitain·e·s nous déshumanise. On ne voit nos territoires que comme des endroits pour se reposer ou aller en vacances où l’eau est bleue. Mais le reste est mis de côté, on cache ce qui dérange.

J’aime énormément mon île et ses habitant·e·s, mais tout cela est assez dur. Lorsqu’iels découvrent cette réalité, la plupart des gens se demandent pourquoi nous ne faisons rien pour y remédier. La vérité, c’est que les habitant·e·s ne font que ça : iels militent dans les rues, multiplient les revendications, et intentent des procès à l’État. Mais celui-ci ne souhaite pas prendre ses responsabilités, et évite le sujet. Et expliquer tout ce qui se passe dans les Antilles demanderait encore bien plus de lignes, de temps et de détails que mon simple témoignage.

Nynna L., 25 ans, est présente sur Twitter sous le pseudo @thedivinenoire.


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