dièses contre les préconçus

« Il est important pour moi de partager les signes et la culture sourde »


Nous avons discuté avec Mélanie Deaf, enseignante en LSF, YouTubeuse et sourde de naissance.
par #Mélanie Deaf — temps de lecture : 5 min —

Quelles discriminations subissent les personnes sourdes dans notre société ? Quels sont les stéréotypes les plus répandus à leur encontre ? Quelles sont les conséquences de l’épidémie sur leur quotidien ? Nous en avons discuté avec Mélanie Deaf, enseignante de LSF et sourde de naissance, qui parle de langue des signes (et de culture sourde) sur Twitter et sur YouTube (suivez-la !).

Quelles sont les idées reçues les plus courantes à votre sujet, en tant que personne sourde ?

Je dirais que les idées reçues les plus courantes concernant les personnes sourdes sont :

1) « Les sourds sont muets », alors que les sourds peuvent parler si ils le veulent. Beaucoup de personnes sourdes sont appareillées ou implantées, et elles ont généralement appris à parler avec leur famille entendante et des orthophonistes. Certains sourds ne veulent pas parler, non parce qu’ils ne peuvent pas mais parce qu’ils n’ont pas envie de communiquer à l’oral.

2) « Les sourds ne peuvent pas écouter de musique », ou « les sourds ne peuvent pas aller à des concerts » : les prothèses auditives permettent aux sourds d’écouter de la musique. Il existe aussi des objets qui permettent de percevoir la musique à travers les vibrations, comme BassMe.

3) « Les sourds ne savent pas lire », ou « les sourds ne savent pas écrire » : la majorité des sourds savent, même si quelques sourds qui ont des difficultés de lecture ou d’écriture car ils communiquent seulement en LSF, qui est leur langue maternelle, et que les enseignants entendants ne s’adaptent pas toujours.

4) On entend aussi souvent parler de « langage des signes » (alors qu’on dit bien langue des signes). La LSF (langue des signes française) est une langue utilisée par les sourds et les entendants, et elle est reconnue comme telle depuis la loi de 2005 Petit à petit, elle se développe dans les écoles : option LSF au BAC, Capes LSF (un diplôme pour devenir enseignant de LSF) …

5) Après, les idées reçues qu’on entend dans la vie quotidienne sont très nombreuses : par exemple, on entend parfois que « les sourds ne peuvent pas conduire »…

Avez-vous rencontré des difficultés dans l’accès à l’école, à l’emploi ou à des services publics en raison de votre surdité ?

Quand j’étais petite, j’allais dans des écoles où il y avait des entendants jusqu’au primaire. Après, j’ai voulu aller au collège avec mes amis à côté de chez moi pour les suivre, et ma famille m’a raconté s’être battue pour que je puisse aller dans cet établissement avec des accompagnants (qu’on nommait à l’époque AVS, et aujourd’hui AESH) ou du soutien. Ma famille a contacté le rectorat, la mairie, l’établissement… et on a toujours reçu des réponses négatives. L’établissement le plus proche qui a accepté de me recevoir était à 40 minutes de route, et même plus à cause des bouchons sur le périphérique de Paris. Malheureusement je me sentais très mal à cause du harcèlement des autres élèves, et les professeurs ou les personnels ne s’adaptaient pas vraiment.

Est-ce pour cette raison que vous avez entrepris de partager sur Twitter 5 signes par semaine ?

C’est plus pour partager mon métier actuel : enseignante de LSF. Je voulais partager #3signesparjour et #5signesparsemaine pendant le confinement afin que plusieurs personnes se rendent compte de l’existence de la LSF.

Il est important pour moi de partager les signes, la culture sourde à travers mes vidéos sur YouTube ou bien sur Twitter. Et comme beaucoup de monde est présent sur les réseaux sociaux lors des confinements, j’ai voulu en profiter pour toucher le maximum de personnes.

Alors que la LSF a derrière elle une longue histoire d’interdictions, on voit depuis quelques mois de plus en plus de discours de membres du gouvernement être traduits en LSF. En tirez-vous un sentiment de victoire ?

Le Congrès de Milan en 1880 a été pour les sourds le début d’une période noire. Durant les années 1870/1880, les tensions entre les différentes méthodes pour l’éducation des sourds se renforçaient. En France, les pro-oralistes obtenaient de plus en plus de soutien financier. Et ce congrès organisé afin de prouver l’efficacité de leur méthode leur a permis de l’emporter.

Au centre de la salle, un homme a présenté à tout le monde un petit garçon sourd, qui est devenu sourd dans son enfance (il n’était pas sourd de naissance, et avait donc déjà appris à parler en tant qu’entendant). L’homme a demandé au garçon de s’exprimer à l’oral, et en écoutant sa jolie voix, le public s’est convaincu qu’il fallait continuer avec la méthode orale, et renoncer à la langue des signes. La LSF n’était pas forcément interdite, mais elle a été évitée pendant environ 100 ans.

Aujourd’hui, 15 ans après la loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, nous pouvons enfin voir des interprètes lors des discours du gouvernement. Malheureusement, les interprètes LSF sont parfois dans des bulles très petites, en haut ou en bas de l’écran. Le combat pour le public sourd n’est pas terminé.

Quel est votre rapport à la culture sourde ?

Avant de parler de la culture sourde, je vais d’abord parler de la culture française : le vin rouge, le fromage, le pain, les expressions françaises…

Pour les sourds, on pourrait mentionner : le toucher (pour s’interpeller entre sourds), le réveil vibreur, les flashs pour se réveiller ou bien en cas d’urgence incendie ou de fumée, les sous-titres au cinéma et à la télévision…

J’ai découvert qu’il y avait une culture sourde seulement quand j’ai appris à signer la LSF le premier jour de la rentrée au lycée. Petit à petit, à l’internat ou bien dans la semaine au lycée, grâce à mes amis sourds, j’ai pu voir qu’il y avait une petite différence de culture entre les sourds et les entendants. Je me sentais comprise avec mes amis.

Qu’est-ce qu’a changé le Covid-19 pour vous ?

Ça a énormément changé sur la communication. Nous, les sourds, nous sommes battus pour l’accessibilité, pour la facilité de la communication entre les sourds et les entendants. Et au fil des années, les entendants comprenaient de plus en plus qu’il fallait s’adapter – jusqu’à ce que ce virus arrive. Le port des masques opaques bloque aujourd’hui toute communication avec les sourds. C’est à nous, encore une fois, de demander de retirer le masque ou bien d’écrire sur un papier. Le souci, c’est que tout le monde n’accepte pas. Du coup, pour nous, c’est comme si on recommençait tout à zéro.

L’entretien a été édité par Paul Tommasi.

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