dièses contre les préconçus

Que signifie le mot « intersexe » ?


Vous ignorez qui sont les personnes intersexuées, et quelles sont les violences qu'elles subissent ? Cet article vous propose d'y remédier.
par #Lucie Dupin — temps de lecture : 8 min —

Depuis quelques années, les termes de « personne intersexuée » et de « personne intersexe », abrégés parfois par « personne inter’ », fleurissent dans les médias.

La réalité des personnes intersexuées ayant été occultée pendant des années, il n’est pas étonnant de constater un manque de connaissance sur le sujet, ne serait-ce qu’au niveau du vocabulaire employé et de la définition des termes.

Pour bien comprendre de quoi il s’agit, nous verrons dans un premier temps ce qu’est l’intersexuation, avant de voir ce que n’est pas l’intersexuation, afin d’éviter toute confusion.

Ce qu’est l’intersexuation

Définition. Une personne intersexuée est une personne « dont le corps sexué à la naissance ou durant la puberté ne répond pas aux définitions médicalement établies des sexes ‘’femelle’’ et ‘’mâle’’. Elle présente donc une combinaison de traits sexuels primaires (organes génitaux externes et internes) et secondaires (seins, pilosité, musculature et ossature) atypiques »1Définition proposée par les membres du Collectif Participes, et la sociologue Janik Bastien-Charlebois (lien en début de paragraphe)..

L’intersexuation est donc une condition biologique qui désigne le fait pour une personne d’avoir des caractéristiques sexuées ne correspondant pas aux standards dominants du mâle et de la femelle, ceux-ci étant plus ou moins arbitrairement fixés par la médecine.

En effet, d’un point de vue purement scientifique, le sexe d’un individu se définit au regard d’une multitude de variables : le sexe gonadique, le sexe anatomique, le sexe chromosomique, le sexe hormonal… C’est ainsi, par exemple, que Vincent Guillot analyse le sexe selon l’idée d’archipel, c’est-à-dire comme « un ensemble d’îles accompagnées elles-mêmes d’îlots qui du fait de leur proximité ou de leur éloignement ont, ou n’ont pas, des caractéristiques communes », ce qui peut permettre à chacun·e de se situer au-delà de la binarité masculin/féminin 2V. GUILLOT, « Intersexes : ne pas avoir le droit de dire ce que l’on ne nous a pas dit que nous étions », Nouvelles Questions Féministes, 2008/1 (Vol. 27), p. 37-48. DOI : 10.3917/nqf.271.0037 (lien dans le texte)..

Or, la médecine, elle, fixe une limite rigide : les corps doivent, pour elle, être soit homme, soit femme. Pour se prononcer, la société médicale procède par étapes. Tout d’abord, à la naissance de l’enfant, elle observe l’apparence externe du sexe de l’enfant. Si celui-ci est inférieur à 0,8 cm, elle considère qu’il s’agit d’un « clitoris », et que son propriétaire est donc une petite fille ; s’il est supérieur à 2,5 cm, elle considère qu’il s’agit d’un « pénis », et que son propriétaire est donc un garçon. Cette limite n’est pas une donnée de la nature, mais un standard médical, qui résulte d’un choix culturel. Ensuite, si le sexe de l’enfant ne rentre pas dans ses standards, que sa taille se situe entre ces deux limites, le corps médical procédera à d’autres examens (examen des gonades, tests hormonaux…), afin de déterminer de quel pôle se rapproche le plus, selon elle, l’enfant. Enfin, si malgré ces tests, le corps médical ne parvient pas à associer le corps de l’enfant à l’un des deux standards – masculin/féminin –, elle considérera que celui-ci est indéterminé.

À cela, on peut ajouter deux succinctes remarques. La première est que les médecins procèdent aussi à des dépistages anténataux. Si lors de la 1ère ou la 2ème échographie, il n’est pas possible d’identifier le sexe de l’enfant à l’un des deux standards du masculin et du féminin, les parents sont incités à recourir à une interruption médicale de grossesse (IMG)3Le Collectif Intersexe et Allié·e·s souligne par exemple que lorsqu’une variation de type XXY est détectée avant la naissance, 88 % des femmes se tournent vers l’avortement (lien dans le texte).. La deuxième est que le test de Guthrie, test pratiqué systématiquement chez tou·te·s les nouveaux-né·es permet de détecter l’hyperplasie congénitale des surrénales, qui peut être une cause d’intersexuation chez la personne concernée, mais qui entraîne également un risque de santé, pouvant nécessiter une prise en charge thérapeutique. Dans ce cas, l’intersexuation de l’enfant est décelée dès ledit test.

Vocabulaire. On retrouve quatre termes employés selon les contextes ou les époques pour désigner les personnes qui ne rentrent pas dans les standards sociaux d’« homme » et de « femme ».

Hermaphrodite : contraction des figures d’Hermès et d’Aphrodite, l’hermaphrodite serait la personne qui cumulerait des caractéristiques femelles et des caractéristiques mâles. Ce terme renvoie à une figure mythologique et non scientifique et n’est donc pas adaptée à désigner les personnes inter’ et occulte la variété de leurs situations personnelles.

Intersexuel : longtemps employé par le corps médical, ce terme est de plus en plus considéré comme inadapté tant par les médecins que par les personnes concernées elles-mêmes. Pour les médecins, qui prônent la binarité des sexes, ce terme peut laisser penser aux parents qu’une voie intermédiaire serait possible, ce que les médecins refusent d’admettre. Pour les personnes concernées, ce terme semble renvoyer à des questions liées à la sexualité, ce qui n’est pas directement la réalité à laquelle renvoie l’intersexuation (même s’il est vrai que remettre en cause la binarité des sexes a nécessairement des conséquences sur les concepts d’homosexualité ou d’hétérosexualité, construits dans un univers binaire).

Personne intersexuée : désigne toute personne présentant une variation du développement sexué. Le terme renvoie donc à une situation de fait. (Il est toutefois récusé par certaines personnes concernées elles-mêmes qui préfèrent se concevoir comme des personnes atteintes d’une maladie et revendiquant pour elle le qualificatif d’anomalie du développement génital sexuel.)

Intersexe : renvoie plutôt à toute personne intersexuée ayant un sentiment d’appartenance à la communauté intersexe, laquelle rejette l’approche pathologique de leur identité. La personne intersexe, au-delà de sa situation biologique, a conscience de sa condition. On renvoie alors à une identité de genre ou à une identité politique. On peut, d’une certaine manière, rapprocher cette distinction à celle existant entre une personne sourde et un·e Sourd·e.

Statistiques. Entre 0,02 % et 4 % de la population mondiale naîtrait intersexuée4Certaines personnes retiennent le chiffre de 1,7 % : A. FAUSTO-STERLING, « How sexually dimorphic are we ? Review and synthesis », American Journal of Human Biology, 2000, p. 151. Les statistiques comptant moins d’1 % de personnes intersexuées ne tiendraient en réalité pas compte de toutes les variations possibles : V. GUILLOT, « Intersexes : ne pas avoir le droit de dire ce que l’on ne nous a pas dit que nous étions », Nouvelles Questions Féministes 2008, n°1, p. 37., que la variation tienne d’une simple hypospade5Le terme hypospade désigne le cas où l’ouverture de l’urètre ne se situe pas à l’extrémité du pénis, mais à un autre endroit de celui-ci. ou qu’elle relève de différences plus importantes, certaines pouvant entraîner une infertilité de la personne concernée. Ce dernier chiffre paraît élevé, il s’explique néanmoins par différents éléments :

  • L’intersexuation ne se révèle pas toujours dans l’enfance, elle est parfois découverte seulement à l’adolescence ou à l’âge adulte.
  • L’intersexuation n’est pas toujours visible d’un point de vue extérieur.
  • Les personnes intersexuées sont souvent élevées dans ce qu’on appelle un sexe d’élevage (« comme une petite fille » ou « comme un petit garçon »), et adoptent donc une apparence sociale que l’on associe généralement au genre masculin ou féminin. L’intersexuation étant taboue et source de discriminations, elle est souvent cachée par les personnes concernées.

Ce que n’est pas l’intersexuation

Intersexuation et maladie. L’intersexuation n’est pas en soi une maladie6Comme précisé ci-avant, bien qu’elles soient minoritaires, une partie des personnes intersexuées se considèrent comme malades du fait de leur intersexuation.. De même qu’être très grand ou roux n’est pas une maladie, présenter une variation ne fait pas de la personne concernée une personne malade. Sauf cas exceptionnels, les personnes intersexuées peuvent grandir sans rencontrer de problèmes physiologiques.

Ce sont au contraire les opérations chirurgicales qu’on leur inflige juste après la naissance pour les normaliser qui leur causent de graves et irréversibles lésions et traumatismes. Du fait des violences subies, souvent assimilables juridiquement à des violences mutilantes ainsi qu’à des actes de torture et de barbarie au sens du droit international, les personnes intersexuées doivent vivre toute leur vie avec des tissus cicatriciels endoloris, sont souvent sujettes à des infections urinaires à répétition, sont parfois impuissantes sexuellement et de manière générale souffrent de lourds traumatismes psychologiques. Cela résulte notamment du fait que le premier signal que leur ont envoyé leurs parents est qu’iels seraient « monstrueux·ses », qu’iels ne pourraient pas vivre en société en tant que personnes inter’, et qu’il est nécessaire qu’on en décide pour elles.

Intersexuation et androgynie. L’androgynie renvoie à l’apparence et/ou au style ambigu(s)7Du moins par rapport à un modèle binaire ! qu’arbore – souvent par choix – une personne. L’intersexuation n’est ni une apparence, ni un choix, ni un style. C’est un fait biologique, indépendant de l’apparence de la personne. Elle ne se voit pas forcément.

Intersexuation et transgénérisme. Les personnes transgenres sont né·e·s dans un corps qui a été assigné à un genre (homme ou femme) qui ne correspond pas à leur identité de genre (« je me sens femme dans un corps d’homme » ; « j’ai un genre féminin, mais un sexe masculin » par exemple). La différence tient à ce que les personnes trans’ ne se sentent pas elles-mêmes dans le genre qui leur a été assigné du fait de leur corps de naissance (« cet enfant est un garçon car il a un ‘’corps de garçon’’ ! »), tandis que les personnes inter’ sont assignées dans un des deux seuls genres malgré leur corps de naissance (« cet enfant, malgré son corps intersexué, doit forcément être assigné au genre masculin ou féminin ! »). Plus fondamentalement, les personnes inter’ rappellent que l’on doit laisser leur corps de naissance tel qu’il est, quitte à pouvoir le modifier plus tard, si elles en expriment le besoin, lorsqu’elles seront en capacité de consentir à ces actes.

Malgré ces différences, les personnes trans’ et les personnes inter’ se rejoignent dans le combat qui vise à faire reconnaître et respecter leur autonomie. Plus encore, il convient de souligner que si les situations d’intersexuation et de transgénérisme sont distinctes, elles se cumulent parfois. Il n’est ainsi pas rare qu’une personne intersexuée soit aussi transgenre soit pour des raisons administratives (mettre en accord le genre avec l’état civil qu’on lui a attribué), soit pour des raisons d’identité (par exemple, « je suis biologiquement intersexué·e mais j’ai une identité de genre homme »).

Lucie Dupin est membre de l’association GISS | Alter Corpus, qui milite pour les droits des minorités corporelles, et notamment ceux des personnes intersexuées.


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