dièses contre les préconçus

Le placement des mineurs non accompagnés dans les établissements privatifs de liberté


« La plupart des mineurs non accompagnés ne sont pas incarcérés à la suite d’une décision émanant d’une juridiction de jugement, mais bien en l’attente d’une telle décision. »
par #Sarah Hias — temps de lecture : 8 min —

« Mineurs non accompagnés » (MNA) est l’une des appellations réservées pour désigner les mineurs dépourvus de la nationalité française, sans représentants légaux, et qui ont réussi à entrer sur le territoire national. L’Organisation des Nations Unies emploie plutôt les termes de mineurs séparés quand les textes de l’aide sociale à l’enfance ne s’attachent pas à leur donner une qualification particulière. À bien des égards, la situation de ces mineurs non accompagnés se révèle préoccupante sans pour autant que les politiques publiques semblent faire des difficultés qu’ils rencontrent une priorité. Qu’il s’agisse de la manière dont est réalisée l’évaluation de leur minorité ou de leur mise sous protection trop souvent lacunaire, le parcours des mineurs non accompagnés en France suscite bon nombre de critiques. Ces mineurs, lorsqu’on estime qu’ils ont bel et bien moins de 18 ans, sont pris en charge par l’aide sociale à l’enfance. Ils bénéficient alors des services de cette institution puisque s’impose à celle-ci le devoir de leur protection. En ce sens, il est proposé aux MNA un hébergement dans l’un des établissements relevant de l’aide sociale à l’enfance, et ils peuvent également s’impliquer au sein de plusieurs activités éducatives initiées par l’institution. Les mineurs non accompagnés, qui font bien souvent l’objet de nombreuses pathologies en plus d’être victimes de traumatismes liés à leur voyage, ont aussi l’occasion de rencontrer des spécialistes qu’ils soient psychologues ou médecins.

Malgré la mise en place de ces accompagnements, il n’en demeure pas moins que la prise en charge des mineurs non accompagnés reste peu satisfaisante. L’échec de leur protection s’explique par différents facteurs. Beaucoup de ces jeunes se révèlent être sous l’emprise des réseaux mafieux : la traite humaine et les trafics de stupéfiants rythment leur quotidien, et l’aide sociale ne peut à elle seule endiguer ce phénomène. En outre, les établissements d’accueil relevant de l’aide sociale à l’enfance apparaissent peu adaptés aux difficultés rencontrées par les MNA. Les barrières de la langue et l’absence de représentants légaux entravent les démarches d’insertion engagées par les établissements. Plusieurs départements ont alors choisi de développer des foyers spécialisés dans l’accueil de ces mineurs. Toutefois, un trop grand nombre de mineurs non accompagnés se retrouvent placés dans ces structures ce qui ne facilite pas le travail mené par les éducateurs, d’autant plus lorsque la formation de ces professionnels s’avère insuffisante.

Des mineurs qui finissent souvent en détention provisoire

Un ensemble d’obstacles s’oppose alors à l’insertion des mineurs non accompagnés. En voici un parmi d’autres : ces mineurs plus fragiles que les autres sont davantage tentés de commettre des infractions pour survivre. Victimes de leur vulnérabilité, ils se voient a fortiori plus facilement placés dans des établissements privatifs de liberté, cela même pour des faits ne conduisant habituellement pas à ce type de placement lorsqu’ils sont commis par des mineurs de nationalité française. Sans adresse et sans représentants légaux, les MNA reconnus ou soupçonnés d’être auteurs d’une infraction ne bénéficient pas toujours du même traitement judiciaire que les autres mineurs. Dans un souci de représentation, le prononcé d’une détention provisoire est par exemple plus fréquent. Le procureur de la République ou le juge des enfants craignant de constater l’absence du mineur non accompagné lors de son audience, préfèrent recourir à une mesure coercitive dès le stade présentenciel. La plupart d’entre eux ne sont donc pas incarcérés à la suite d’une décision émanant d’une juridiction de jugement, mais bien en l’attente d’une telle décision. Pourtant, en droit pénal français, la privation de liberté des mineurs est censée intervenir en dernier recours. Elle fait normalement suite à l’échec des mesures éducatives moins contraignantes qui ont pu être exécutées antérieurement par le mineur. Cette conception de la justice pénale des mineurs fut consacrée par l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, abrogée par l’ordonnance du 11 septembre 2019. De cette dernière est issu le code de la justice pénale des mineurs entrant en vigueur le 30 septembre 2021. Sans surprise l’article préliminaire de ce code est une reprise des principes directeurs gouvernant le droit pénal des mineurs, encourageant alors le prononcé des mesures éducatives avant de recourir à une quelconque privation de liberté.

En vertu de ce principe, on constate que beaucoup de mineurs primo-délinquants sont épargnés par la détention provisoire, le contrôle judiciaire accompagné de mesures éducatives étant privilégié. Bien qu’ils restent sous surveillance, ce mécanisme garantit aux intéressés une mise en liberté.

Or, le contrôle judiciaire ne convient généralement pas aux mineurs non accompagnés en raison des difficultés qu’ils rencontrent. Cette mesure de sûreté, prononcée avant jugement, implique pour le mineur de répondre aux convocations périodiques des personnes désignées par le juge des enfants, il peut s’agir d’entretiens avec une association habilitée ou de se rendre au commissariat pour effectuer un pointage. C’est ainsi que les mineurs non accompagnés, en étant livrés à eux-mêmes, ne parviennent pas à honorer les obligations inhérentes au contrôle judiciaire. L’absence de résidence fixe, le manque de moyens dont ils disposent pour se rendre aux entretiens s’additionnent aux difficultés qu’ils ont à se repérer dans les lieux où ils se trouvent. Leur périple étant incertain, ils sont en effet amenés à changer régulièrement de ville, ce qui ne leur laisse que peu de temps pour apprendre à s’orienter au sein de celles-ci. Le succès des mesures issues du contrôle judiciaire est donc d’emblée mis à mal par la situation dans laquelle se trouvent la majorité des mineurs non accompagnés.

Un placement de plus en plus fréquent

In fine, la cause de leur placement au sein d’un établissement privatif de liberté mêle souci de protection et incapacité des magistrats à faire face aux problématiques rencontrées par les MNA. Leur incarcération se révèle être le résultat de l’impuissance des institutions à assurer leur prise en charge en dehors des murs.

Le contrôle judiciaire habituellement peu prononcé à l’égard des mineurs non accompagnés est devenu plus fréquent depuis l’instauration des centres éducatifs fermés (CEF). Présentés en 2002 comme des établissements alternatifs à la prison, ils n’ont cependant pas permis de freiner l’enfermement des mineurs. Relevant de la compétence du Contrôleur général des lieux de privation et de liberté (CGLPL), ces structures se sont imposées comme de nouveaux lieux privatifs de liberté. Des mineurs non accompagnés y sont régulièrement placés, très largement dans le cadre d’un contrôle judiciaire qui permet de garantir leur représentation devant l’institution judiciaire.

Le placement des mineurs non accompagnés en détention provisoire est de plus en plus courant, et, entre 2014 et 2018, leur nombre au sein de plusieurs établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) a fortement augmenté. L’EPM de Valentine localisé à Marseille en est un exemple : les mineurs non accompagnés représentaient 27% des mineurs incarcérés en 2018 contre 12% en 2014. Le même constat s’opère concernant l’établissement de Meyzeu situé à Lyon : les mineurs non accompagnés composaient 5,8% de la population carcérale en 2014 avant d’en représenter 26% en 2018. Une telle croissance explique en partie l’importance de l’incarcération des mineurs ces dernières années.

Des projets de réinsertion presque inexistants

Les EPM comme les quartiers pour mineurs accueillent actuellement des mineurs aux situations très diverses. Des auteurs d’infractions condamnés ou des présumés innocents se côtoient. En plus de cette mixité, les mineurs non accompagnés sont enfermés avec les autres mineurs de nationalité française. Il est pourtant évident qu’un tel contexte est favorable au développement des mêmes difficultés que celles rencontrées lors de leur placement au sein des établissements relevant de l’aide sociale à l’enfance. Leur statut de mineurs non accompagnés les rend particulièrement vulnérables et ne sert par leur intégration au sein des structures privatives de liberté. Ils sont fréquemment pris pour cibles par les autres mineurs et deviennent alors victimes de violences verbales ou physiques que l’administration pénitentiaire peine à contenir.

Au sein de ces établissements, l’absence de personnalisation des activités proposées aux mineurs non accompagnés fait de de leur temps de détention un simple prétexte à leur neutralisation. L’incarcération de ces mineurs n’est pas mise au profit de leur relèvement éducatif, mission pourtant revendiquée comme fonction des EPM et des CEF, et qui est d’ailleurs inscrite au sein de leurs cahiers des charges respectifs.

Le personnel présent dans les EPM se trouve démuni face aux mineurs non accompagnés. Les éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse ne parviennent que rarement à mettre en place des projets de réinsertion. À titre d’exemple, l’inscription dans une formation professionnelle pouvant justifier une sortie de prison requiert l’autorisation des représentants légaux. Il faut en outre pouvoir se rendre à l’activité et, pour cela, bénéficier de moyens de locomotion ou être hébergé non loin du lieu de la formation. Toutes ces conditions apparaissent bien sûr difficilement réalisables pour des mineurs non accompagnés qui ne disposent pas de plus de ressources après leur détention qu’antérieurement à leur entrée en CEF ou en EPM.

Un cercle vicieux à interrompre

L’incarcération des mineurs non accompagnés participe trop souvent d’un cercle vicieux. L’échec de l’aide sociale à l’enfance quant à la protection de ces mineurs aboutit à leur placement au sein d’établissements privatifs de liberté, eux-mêmes vecteurs de violences et d’inégalités. À leur sortie, ces mineurs ne sont pas plus accompagnés que les autres vers un projet d’insertion, et ce, malgré leur particulière vulnérabilité. A fortiori, ils se retrouvent de nouveau confrontés à la rue et aux réseaux mafieux. Mettre un terme à ce processus supposerait que soient alloués aux services rattachés à l’aide sociale à l’enfance plus de moyens humains et matériels, leur permettant ainsi de proposer un accompagnement individualisé et qualitatif aux mineurs non accompagnés. La question du désengagement de l’État ne doit pas être oubliée : la délégation de ses missions de protection aux départements par le jeu de la décentralisation n’a fait qu’accentuer les difficultés de ces derniers dans la prise en charge des mineurs non accompagnés. En comptant sur les seules ressources de ces territoires, c’est l’intérêt supérieur de l’enfant qui est sacrifié. Cette notion se caractérise généralement comme le critère devant guider l’ensemble des décisions notamment administratives et judiciaires, prises à l’égard de tout mineur. Il n’apparaît dès lors pas inutile de rappeler que la France est signataire depuis 1990 de la Convention internationale des droits de l’enfant, au sein de laquelle est explicitement consacré l’intérêt supérieur de l’enfant.

Sarah Hias est doctorante en droit privé et sciences criminelles à l’université de Nantes.


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