dièses contre les préconçus

Je suis noir


Et croyez-moi, je serais ravi de l'oublier.
par #Alexis D. (pseudonyme) — temps de lecture : 4 min —

Même si certaines personnes me suggèrent de l’oublier, je suis noir. On dit souvent que la République française ne voit pas les couleurs de peau, et qu’il n’existe donc aucune raison de penser à celles-ci. Certaines personnes vont même jusqu’à affirmer que, puisque les races n’existent pas, dire qu’on est noir, c’est être raciste. Croyez-moi, je serais ravi de pouvoir ne pas y penser. Mais être noir pèse sur tellement d’aspects de ma vie que l’oublier est impossible.

Je suis noir, oui. Et je le sais pour ces raisons :

– Lorsque je suis dans une rue vide, les gens évitent de me regarder. Ils sont inquiets. Je ne sais pas s’ils ont peur que je m’en prenne à eux, ou s’ils sont juste gênés par leurs propres préjugés. Souvent, je traverse la rue, pour fuir la honte qu’ils me font ressentir.

– Mon nom très « français » me permet d’obtenir des visites sans problème lorsque je cherche un logement. Mais lorsqu’on me voit en personne, d’un coup, la situation évolue. On m’a expliqué quelques fois que le studio pour lequel j’étais venu n’était plus à louer. Au début, j’y croyais. Puis, un jour, un collègue (blanc) a obtenu un studio trente minutes après qu’on m’ait dit qu’il n’était plus disponible. Je me suis alors rendu compte que beaucoup d’amis trouvaient des logements plus vite que moi, quand bien même leurs dossiers étaient moins bons que le mien.

– Dans mon premier emploi, j’avais souvent droit à de l’humour sur le pénis et la vitesse des noirs. J’ai tenté une fois de protester. On m’a reproché de surréagir. Je n’ai rien contre l’humour, mais on n’est pas tous pas sur un pied d’égalité. Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup d’endroits où on tolère les moqueries quotidiennes sur les pénis et la lenteur des blancs.

– Lorsque je rentre dans une boutique, je vois que les vigiles font très attention à moi, qu’ils me suivent de près. Je n’ai jamais rien volé de ma vie. J’imagine que c’est les consignes qu’on leur donne. À l’inverse, dans certains endroits, c’est moi, qu’on prend pour un vigile.

– Sur les sites de rencontre, on me demande toujours « d’où je viens ». Lorsque j’explique que je suis né en France, certaines personnes s’excusent. Beaucoup de gens me reposent la question, me disent que je l’ai très bien comprise. Je me retrouve parfois à expliquer que mes parents sont aussi nés en France, ce qui ne stoppe pas toujours les questions. Je ne comprends pas cette curiosité pour ma généalogie. Je crois que les personnes qui me posent ces questions n’ont pas conscience de ce qu’elles disent, et des préjugés qu’elles montrent lorsqu’elles sont incapables de me voir comme Français.

– En parlant de rencontres, une anecdote m’a beaucoup marqué. Une aventure d’un soir m’avait expliqué après le sexe que coucher avec des hommes noirs était pour elle une manière de « réparer tous les siècles d’esclavage ». Je me suis senti objectifié comme jamais. On parle parfois du syndrome du white savior, pour les personnes qui vont en Afrique pour se donner bonne conscience, sans connaître le continent, en faisant parfois plus de mal que de bien. Mais les white saviors existent aussi dans nos vies sexuelles, et ils nous humilient.

– Lorsque j’écoute une émission de foot pour me détendre, je n’évite pas non plus les préjugés. Le stéréotype du « grand black costaud » (et pas très intelligent) n’est jamais très loin. Il m’est arrivé d’éteindre la radio, pour éviter d’être écœuré pour de bon.

– Les gens tournent souvent autour du pot pour dire que je suis noir, comme si l’existence des personnes comme moi était un sujet de honte. Ils disent black ou immigré, alors que je ne suis pas immigré, et que je suis tout simplement noir. L’introduction de la page Noirs de France sur Wikipédia montre aussi un certain malaise. Il y est écrit que « les Noirs de France sont, selon le Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN), les citoyens ou résidents français d’ascendance subsaharienne, américaine, caribéenne ou ultra-marine ». Le recours à cette source dès les premières lignes, comme pour s’excuser d’aborder le sujet des noirs, montre à quel point il est difficile de discuter de nos existences.

Lorsque je parle de ces sujets, on me dit de ne pas trop en faire, de me concentrer sur les vrais problèmes, ou d’aider les racistes à comprendre leurs erreurs. La vérité, c’est que les racistes n’ont pas toujours très envie d’écouter les gens comme moi. La vérité, surtout, c’est qu’on ne doit pas oublier le plaisir qu’ils peuvent ressentir. Le plaisir de choquer, de blesser, de se mettre au-dessus des noirs. Oui, le plaisir du racisme existe, et je crois qu’on ne peut rien comprendre à la haine si on ne le prend pas en compte.

Malheureusement, en tant que noirs, on n’échappe pas non plus aux violences entre nous. Certains se voient dire qu’ils sont trop ou pas assez noirs de peau, qu’ils s’enferment dans des cases ou qu’ils sont au contraire des bountys (noir à l’extérieur, blanc à l’intérieur). Ces mots-là ne nous privent pas d’emploi ou de logement, mais ils nous blessent là où il nous faudrait de l’indulgence, de la compassion. Et les femmes noires en sont les premières victimes.

En fin de compte, au quotidien, je suis surtout vu comme un noir. Alors qu’une personne blanche, elle, est d’abord vue comme une personne. On voit l’être humain, et non sa couleur de peau. J’espère un jour pouvoir vivre la même chose en France. Les principes universalistes sont les miens, et je rêve de les voir être respectés.

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