dièses contre les préconçus

Cache-cache en plein soleil


Ce documentaire est un accident – ou un tournant. Mon amie Marianne a été violée il y a sept ans. Je l’ai aidé comme j’ai pu à l’époque, alors que nous avions 18 ans. Aujourd'hui, c'est à mon tour d'avoir besoin de soutien.
par #Coline Guérin — temps de lecture : 4 min —

Mon amie Marianne a été violée il y a sept ans. Je l’ai aidé comme j’ai pu à l’époque, nous avions 18 ans. C’est mon tour à 25 ans. Elle vient m’épauler, nous faisons entrer les micros dans notre quotidien. Nous cherchons les mots et observons nos silences. La vie continue. On rit, on pleure et on essaie de faire des pauses dans la douleur. C’est comme un cache-cache en plein soleil, on ne peut pas (s’)échapper. Ensemble, nous décidons de me venger.

Extrait

« – Il y a le fait de pas pouvoir s’échapper, et c’est pour ça que le corps il débranche. Quand tout à coup, tu n’es plus toi-même, c’est ton corps qui débranche, ou tu t’évanouis. C’est le premier sens de « cache-cache en plein soleil », et j’ai l’impression qu’il y a un autre sens à cette phrase, qui est complètement inverse… tu veux montrer, tu veux comprendre, tu veux agir mais tu ne peux pas. Ça ne marche pas.

– Il y a aussi le fait que les gens savent. Tu vois que tout le monde sait et qu’il y a quand même un cache-cache. C’est comme si tu cherchais quelque chose dans le noir alors qu’en fait c’est le jour, et que tout le monde voit et a les yeux grands ouverts. C’est juste qu’on ne regarde pas. »

Quelques mots sur les intentions

Urgence(s).

Au départ de ce documentaire sonore il y a une urgence. L’urgence de prendre la parole. Crier au monde entier : « Et maintenant, on fait quoi ? » Le défi est d’assumer ce geste d’écriture et de réalisation à chaud, alors même que l’« après » est en train de se vivre.

Apprendre à continuer la vie.

Il y a, au cœur de ce documentaire, le besoin de partager des fragments de quotidien de l’« après », dont on parle si peu. Comment dans les jours, les semaines qui suivent un viol, peut-on continuer à vivre ? Ou plutôt : comment trouver un équilibre entre « continuer la vie » et l’impossibilité, le non-sens, la déchirure et le sentiment de totale absurdité à « continuer la vie » ?

Par l’introduction de micros dans notre quotidien, l’auditeur·ice est invité·e à partager le temps du documentaire cet « après ». L’idée est de démystifier le viol et de démystifier l’« après », sans en sous-estimer sa part traumatique et violente. Témoigner sur l’après, c’est s’adresser à tou·te·s les proches de personnes violées – c’est à dire à peu près tout le monde, si on suit la statistique selon laquelle, en France, un viol a lieu toutes les sept minutes.

Panser l’après : « tu n’es pas seule. » Mais qui est là ?

Avec Marianne, nous sommes les deux personnages de ce documentaire, sur un pied d’égalité – tout en assumant que je suis la réalisatrice. Nous mettre en scène seulement à deux, au-delà de montrer notre soutien mutuel, c’est aussi montrer la solitude et l’absence cruelle de soutien. Même si dans nos deux cas, nous avons été ou sommes entourées, un sentiment de solitude profond demeure. Être à deux, c’est s’autoriser à parler de ce tabou et du (non-)accompagnement des plus ou moins proches dans cette expérience. C’est aussi témoigner par le son, l’intérieur de nos corps, la cicatrice de Marianne apaisée et la mienne alors brûlante.

Se venger

Si nous faisons entrer les micros dans notre quotidien peu de temps après mon viol, c’est parce qu’une idée me tient. Nous avons une histoire à raconter, une vengeance à partager aux auditeur·ice·s. Au-delà de réaliser ce documentaire pour « faire sortir » les mots, j’ai en effet besoin de me venger – besoin qui nous pousse à partager notre intimité : nous sommes persuadées que la vengeance peut être une façon de se réparer ou d’aider à la reconstruction de personnes violées. Marianne ne s’est pas vengée à l’époque. Aujourd’hui, elle m’aide à me venger. Le documentaire ne suffit pas : avec cette histoire, nous voulons aussi inspirer d’autres personnes violées.

Ce documentaire sonore, de 21 minutes, peut être écouté sur Soundcloud.

Coline Guérin est aujourd’hui en cours de formation à la réalisation et à la production de films documentaires, et a commencé à écrire la suite de Cache-cache.


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