En quoi l’échange et la création peuvent contribuer à déjouer certaines formes d’exclusion ? Et pourquoi discuter de l’histoire de notre nation est-il si essentiel pour comprendre notre présent ?
Nous en avons discuté avec Marc Chebsun, directeur de la rédaction de D’ailleurs et d’ici, et qui vient de diriger l’ouvrage L’histoire de l’esclavage et de la traite négrière (publié le 5 mai chez Librio, et avec des contributions d’António de Almeida Mendes, Jean-Marc Ayrault, Pascal Blanchard, Myriam Cottias, Doudou Diène, Réjane Éreau, Fanny Glissant, Aline Helg, Maboula Soumahoro, Françoise Vergès – et des rédacteurs de D’ailleurs et d’ici).
Pouvez-vous nous présenter D’ailleurs et d’ici en quelques mots ?
C’est un média qui parle de la France plurielle : de son histoire, des ses apports, des enjeux culturels, sociétaux, économiques qui la traversent. Des exclusions aussi, des discriminations, de l’invisibilisation ; et des contre-cultures qui se structurent pour déjouer ces absences et ces silences.
Vous organisez aussi régulièrement des ateliers à travers le pays. Comment l’idée est-elle apparue ?
Au sein de la France plurielle, il y a bien évidemment sa jeunesse, particulièrement absente de notre paysage médiatique conventionnel. Et plus particulièrement celle qui invente pour échapper aux modèles réducteurs dans lesquels on veut les enfermer : les jeunes issus des minorités, non blancs, des quartiers populaires, jeunes avec un handicap vivant sous la pression d’une société validiste, jeunes LGBT…
Ces ateliers leur proposent des formations au journalisme et à l’écriture de fictions. On organise aussi des ateliers mémoire et histoire inclusifs sur l’histoire de la traite et de l’esclavage, l’histoire coloniale et celle de la Shoah.
Nous avons complété ce travail avec un centre de ressources en ligne dédié aux mêmes thématiques.
Vos ateliers donnent la parole à des personnes qui ont souvent moins la possibilité de s’exprimer, et ce qu’elles soient arabes, noires, juives, handicapées, du monde rural… Est-ce que la difficulté d’accès à la parole, et/ou à une représentation juste, peut selon vous permettre des rapprochements entre les groupes concernés ? On tend souvent à imaginer l’inverse…
On imagine l’inverse parce qu’on fantasme – et que certains orchestrent – l’idée de communauté. Certes, il existe de vrais projets communautaristes (un terme désormais galvaudé et dénaturé car réservé à certaines minorités) mais, pour la plupart des gens, la communauté représente un repère et un moyen de lutter lorsque le groupe majoritaire nie votre spécificité et vos droits. La communauté est alors une référence vivante, mobile. Ainsi, on peut se reconnaître dans différentes communautés. Les rapprochements existent lorsqu’on ne fait pas tout pour séparer les gens. Nos rencontres contre les racismes et l’homophobie l’illustrent parfaitement.
Concrètement, comment s’organisent les ateliers ?
Sur des cessions courtes ou longues : ils peuvent aller jusqu’à engager des jeunes sur des mois pour un travail d’une grande intensité ou reposer sur des formats bien plus légers. C’est une expérience et un apprentissage, un espace d’expression et de réflexion aussi.
Pourquoi mettre la création au centre de vos ateliers ?
Parce que la création permet un épanouissement qui met à mal les processus de domination ou de victimisation. Créer, c’est apprendre à (re)dire Je. Cela pose un pas vers une émancipation.
Vous venez de publier L’Histoire de l’esclavage et de la traite négrière, un ouvrage qui souhaite proposer de nouvelles approches pour aborder ces sujets. Pourquoi ce livre vous a-t-il semblé nécessaire ?
Parce que cette histoire essentielle pour comprendre notre passé, mais aussi notre présent, souffre d’un manque de transmission hors du commun. De nombreux encadrants jeunesse nous ont confié ne pas être armés pour répondre aux nombreuses questions des jeunes. Cet ouvrage comble une partie de ces manques. Il est fait pour être utilisé. Nous allons également mettre en ligne le 6 mai des vidéos tirées des textes de l’ouvrage.
Que répondez-vous à celles et ceux qui vous accuseront de céder aux « sirènes de la victimisation » ?
C’est le silence, et non le savoir, qui victimise car il enferme dans un statut d’exclu de l’histoire. Celles et ceux qui portent ces accusations ne veulent surtout rien changer à leur monde, celui si confortable et si paresseux de l’entre soi. Chacun sa route.
Avez-vous des espoirs, ou des projets, pour 2021 ?
Je suis en écriture de mon deuxième roman, après Et je veux le monde sorti en 2020 chez JC Lattès. 2020 nous a tous profondément marqués. Reste à voir si 2021 saura être le temps d’une réparation… ou non. À ce jour, je n’en ai pas la moindre idée.
Entretien mené par Paul Tommasi.