dièses contre les préconçus

Enterrons la « bonne mère » : pour une matergouinité non respectable


« Des enfants, les gouines en ont toujours eu. Ce qui change peut-être, c’est qu’elles en ont marre d’être chacune chez elles. »
par #Matergouinité — temps de lecture : 5 min —

Elles sont arrivées petit à petit. En couple, avec des copines, avec ou sans enfant. Réchauffées par le soleil breton, assises dans l’herbe ou posées sur des chaises près d’une roulotte rouge, nous étions, au final, une bonne soixantaine. Cet été, nous étions quatre à animer un atelier sur la maternité gouine au festival sur la parentalité alternative Very Bad mother, à Concarneau. Deux jours de « kermesse féministo punk » qui ont réuni 700 personnes. On ne pensait pas qu’un atelier informel, un dimanche après-midi, allait attirer autant de lesbiennes, avec ou sans enfants. Par petits groupes, on a parlé de la place de la « deuxième mère », des galères militantes quand on n’a plus assez de temps pour s’engager, de la confrontation avec les institutions quand on a un mode de vie alternatif ou de la solitude quand on est entourées de copines sans enfants.

Des enfants, les gouines en ont toujours eu. Ce qui change peut-être, c’est qu’elles en ont marre d’être chacune chez elles – ou presque. La volonté de Matergouinité, c’est de faire communauté. De s’organiser entre nous. De recréer ces après-midi à Douarnenez sur une petite plage où des gouines parlaient d’éducation de leurs enfants en mangeant des chips. De se retrouver dans un camping écolo en Lozère parce qu’une abonnée au compte Instagram nous a dit qu’il était super. De faire garder nos enfants par des personnes queers et de nous rencarder sur les initiatives qui existent déjà partout en France. À Very Bad Mother par exemple, on a découvert La Bulle, un collectif rennais qui organise bénévolement des accueils d’enfants pendant des manifestations pour permettre aux parents de militer. Or pour militer ensemble comme pour camper ensemble, il faut s’organiser. Cette envie, ce besoin d’organisation né durant ce festival, s’est transformé en un groupe Discord pour continuer à échanger et se rencontrer, et, pourquoi pas, créer d’autres « bulles ».

Montrer les maternités lesbiennes

Penser les maternités lesbiennes, c’est aussi, tout bêtement, les montrer. Comme le dit la spécialiste de l’homoparentalité Martine Gross, « depuis une vingtaine d’années, depuis la fin des années 90, les familles homoparentales se montrent dans les médias, et ça, ça contribue quand même beaucoup au changement des mentalités, c’est indéniable ». Mais qui se montre, et qui est montré ? Seule figure à émerger, rare et précieuse : Marie Labory, la présentatrice du journal d’Arte, mère de jumeaux. Quid de celles, nombreuses, devenues lesbiennes sur le tard ? Quid des mères racisées, des masculines ou des séparées ? « Pour être complètement acceptées, les mères lesbiennes doivent abandonner ou mettre à distance les signes associées à une homosexualité non respectable », résume Sylvie Tissot dans Gayfriendly (éd. Raisons d’Agir, 2018). Une « acceptation sous conditions », en somme. Cette homosexualité non respectable est résumée en quelques mots par une des femmes interrogées dans le livre. Elle décrit ainsi les relations apaisées que son couple entretient avec les autres parents d’élèves : « Si on était des lesbiennes qui font peur, ça n’irait pas si bien. On est complètement inoffensives. Je travaille, j’achète le Times. Elle [sa compagne] est avocate. » Ce serait quoi, une lesbienne qui fait peur ? « Si on était très butchs et que j’étais menuisière, si on parlait du patriarcat qu’il faut renverser », rigole-t-elle.

Alors, comment passer à l’offensive ? Comment « construire notre monde d’amour révolutionnaire », comme le dit Hanane K., mère lesbienne et militante à Femmes en lutte 93, sur Radio Campus ? « Quand on est toujours en train de se défendre, on n’a pas le temps de construire. On est tellement occupées à écrire des tracts, à organiser des manifs, à dénoncer ce qu’ils font de notre droit à la PMA que nous n’avons plus le temps pour l’essentiel. »

Penser l’émancipation de toutes et tous

Après des années de lutte pour une loi au rabais, l’essentiel, pour nous, c’est de partir de notre position de gouine pour penser l’émancipation de toutes et tous. Nous, nous savons bien que la famille n’est pas une affaire de génétique, ne se résume pas à un papa et une maman, nous savons bien qu’il faut en finir avec la famille nucléaire et ses amours limitées. Nos imaginaires et nos luttes permettent de repenser la place des beaux-parents, d’imaginer des cadres libérateurs, qui existent déjà mais sont marginalisés. L’« amour révolutionnaire », on pourrait aussi le dénicher dans des colocations de lesbiennes, mères ou non, ou chez des copines qui décident de faire des enfants ensemble. Pour que tout le monde puisse s’emparer de la parentalité sans s’excuser (bien au contraire), il faut aussi instituer la filiation par engagement. C’est ce que propose Ali Aguado, militant FtX et père de deux enfants, qui veut « accueillir toutes les parentalités, quels que soient le mode de procréation, le genre ou le nombre des parents car bien entendu il n’y [a] plus lieu de se limiter à la biparentalité ».

Déjà, en 2017, la militante Gwen Fauchois, ancienne d’Act Up, assurait (dans Diacritik) au sujet de l’ouverture de la PMA : « Nous n’avons jamais revendiqué et assumé que l’on voulait changer la société. On s’est conduit comme les politiques, comme ce que l’on reproche au parti socialiste. On n’a pas assumé le fait que l’on voulait porter un changement social. Ceux qui ont énoncé l’idée que ça allait changer la société, ce sont les opposants, c’est la droite. Au lieu de vouloir minimiser cet impact, on aurait dû l’assumer entièrement et dire que ce que l’on veut, c’est effectivement que la société change. »

Pour que la société change, des alliances sont nécessaires. Ce qu’on aimerait faire aussi, à notre petite échelle, c’est prendre part à un mouvement plus global sur les maternités alternatives, ou du moins minorisées… voire surveillées et encadrées. Après tout, être mère et lesbienne était jusqu’il y a peu « interdit » – et faire un enfant est désormais soigneusement encadré par l’État dans le cadre de la PMA. Les maternités lesbiennes ne sont pas les seules vues avec suspicion : les mères pauvres ou racisées le savent bien. Les petits de ces dernières sont désenfantisés – vus comme des délinquants en puissance – et leurs parents perçus comme incapables de bien les élever, explique Fatima Ouassak, autrice de l’essai La puissance des mères, pour un nouveau sujet révolutionnaire (éd. La Découverte, 2020). Pour elle, il s’agit de « redonner de la valeur sociale, symbolique et politique à ce que les mères sont et font déjà. Et de conquérir le pouvoir politique que les mères n’ont pas. » Ce mouvement autour de la maternité féministe, qui n’est bien sûr pas nouveau, est réamorcé : festivals, essais, podcast (Entre femmes, de Charlotte Bienaimé)… Et les gouines sont évidemment de la fête.

Matergouinité est un compte Instagram (qui est aussi présent sur Discord) dédié à la visibilité des mères lesbiennes et à la réflexion autour des parentalités alternatives. Il a été créé par deux colocataires lesbiennes, Lisa, mère d’un enfant de trois ans, et Elsa.


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