dièses contre les préconçus

En lutte contre les CRA !


« Dans les centres de rétention administrative, des luttes et des résistances, il y en a toujours. Ce qui manque le plus souvent c’est de la solidarité à l’extérieur, la capacité de relayer les paroles des prisonnier·e·s en lutte, de s’organiser pour les soutenir. »
par #À bas les CRA — temps de lecture : 10 min —

Enfermement de nourrissons, harcèlement, overdose de médicaments, viols, familles séparées, insalubrité… Le collectif À bas les CRA ! recense régulièrement des témoignages sur les conditions d’existence au sein des centres de rétention, ainsi que sur les luttes qui y sont menées. Nous republions ici, avec l’autorisation du collectif, l’introduction d’une brochure sortie en novembre 2019.

Les CRA (centres de rétention administrative) sont des prisons. Même si les textes juridiques ne les désignent pas comme telles, ce sont des lieux d’enfermement et de privation de liberté, où les violences policières, les menaces et les humiliations sont à l’ordre du jour. Les prisonniers et les prisonnières reclu·e·s derrière les murs des CRA ont été jugé·e·s coupables d’un crime particulier : celui de ne pas avoir les « bons papiers ». Pour l’État, seul ce bout de papier compte, et son absence suffit pour enfermer et expulser.

C’est la raison d’être des CRA. Enfermer et expulser loin des regards. C’est pour cela que les CRA sont souvent situés dans des coins paumés, éloignés de tout sauf des casernes ou des écoles de police, pour que les flics puissent intervenir rapidement en cas de révolte. Voire à proximité des aéroports (CRA de Mesnil Amelot) pour enfermer les personnes encore plus près de la déportation. Il suffit d’aller faire un parloir avec un·e prisonnier·e pour se rendre compte que l’isolement de ces lieux ne sert qu’à rendre davantage invisibles celleux qui y sont, et dissuader la solidarité depuis l’extérieur. La solitude et l’absence des liens avec leurs proches sont calculées pour briser le moral des retenu·e·s afin de mieux les maîtriser.

Les CRA sont des lieux d’isolement et d’abus. Mais ils sont un maillon d’une chaîne bien plus large. Cette chaîne va des relations néo-coloniales qui organisent les visas et les accords bilatéraux, jusqu’aux frontières militarisées, des centres d’hébergement et d’accueil aux prisons, des préfectures à la commission d’asile, des tribunaux aux rafles et aux contrôles au faciès dans les rues et dans les gares. Les CRA font partie d’un système d’exploitation et d’humiliation raciste, auquel un ensemble d’acteurs participent. Certains se disent humanitaires, d’autres sont explicitement répressifs, mais que ce soit pour trier, expulser, ou « éduquer et intégrer », ils participent tous au grand jeu de fichage et de contrôle des étranger·e·s, de leurs mouvements, de leurs comportements, de leurs vies.

Les CRA sont le visage le plus explicite et brutal de la mise à l’écart des migrant·e·s « sans les bons papiers ». Mais ils ne produisent pas que de l’exclusion. Ils ont pour objectif de fabriquer des travailleurs et des travailleuses toujours plus exploité·e·s, soumis·es au chantage continu de la réclusion et de l’expulsion. Ils sont l’outil de l’État et des patrons pour discipliner et faire baisser la tête aux prisonnier·e·s, certes, mais aussi à tou·te·s celleux qui, un jour ou l’autre, pourraient se faire contrôler par des flics dans une station de métro et être renfermé·e·s. Les CRA, comme toutes les prisons, sont une menace toujours présente.

Les CRA sont aussi une source de profit pour les grosses entreprises. L’enfermement paie, comme le savent bien les différentes boîtes qui collaborent avec les forces de répression dans les centres de rétention tout comme lors des expulsions. Les entreprises qui assurent la bouffe, la surveillance, le transport, mais aussi les guichets qui balancent les sans-papiers sont des rouages de la machine à expulser. Ce sont ces boîtes collabos qui permettent concrètement l’existence et le fonctionnement de ces lieux.

Lois, institutions et constructions

Les lois contre les étranger·e·s se durcissent toujours plus, et fournissent autant d’outils pour consolider le racisme d’Etat. La dernière loi en vigueur ne se contente pas de rallonger la durée de rétention à 3 mois, elle complique encore l’accès à un titre de séjour et systématise des mesures d’éloignement beaucoup plus dures (exemple OQTF/IRTF1Obligation de Quitter le Territoire Français/ Interdiction de Retour sur le Territoire Français.). Pendant ce temps, le gouvernement en place prépare déjà le terrain pour couper aux dubliné·e·s2Personnes demandant l’asile mais menacées d’être expulsées vers le premier pays européen où leurs empreintes ont été prises. les droits auxquels ielles ont accès aujourd’hui, par exemple en supprimant les Conditions Matérielles d’Accueil (qui comprennent l’allocation pour demandeurs d’asile et l’hébergement d’urgence).

Depuis mars 2019, des travaux d’élargissement ont eu lieu dans plusieurs centres de rétention (Nîmes, Oissel, Lyon, Coquelles…). En septembre de la même année, le gouvernement a annoncé la construction de trois nouvelles prisons pour étrangers·e·s (Lyon, Olivet, Bordeaux), pour arriver à 1 549 places d’ici 20203En « métropole ».. Puis, en octobre 2019, Macron s’est rendu à Mayotte et a annoncé 24 000 déportations depuis le début de l’année, soit 80 par jour. On n’en parle presque jamais, mais il est important de rappeler que l’enfermement et le refoulement à la frontière sont peut-être encore plus systématiques et vénères dans ces territoires, que l’État français continue à gouverner comme des colonies.

Tout cela va donc bien au-delà du territoire de l’Hexagone : il est une des formes que l’impérialisme français prend dans ses anciennes, ou actuelles, colonies. Mais il fait aussi partie d’un système de frontières qui fonctionne à l’échelle européenne. Ce n’est pas nouveau, ça remonte à bien avant les soi-disant « crises des réfugié·e·s  » et aux développements actuels des politiques racistes et répressives. Depuis la création de Schengen et la mise en place d’une pseudo libre circulation à l’intérieur des frontières européennes, la coopération entre les différents États en matière de « lutte contre l’immigration illégale » s’intensifie. Ouvrir les frontières, certes, mais d’abord pour les capitaux et les marchandises, ensuite pour les citoyen.ne·s européen.ne·s (de préférence blanc.he·s et riches) ; en échange, on fait la guerre aux sans-papiers.

L’Union Européenne (UE) s’est donné pas mal de moyens pour combattre cette guerre. D’abord, en externalisant les frontières en Afrique et au Moyen Orient : que ce soit à travers des missions « de paix » et la militarisation des territoires, ou grâce à la pression diplomatique et économique (les accords bilatéraux, le co-développement etc.), pour ceux et celles qui veulent rejoindre le continent européen, les frontières commencent bien avant la Méditerranée : les ambassades et les aéroports sont de plus en plus des outils dans les mains des gouvernements faisant partie de l’UE pour empêcher les gens d’arriver sur les cotes européennes. Les États européens organisent le fichage, blocage et tri dès les pays d’où les gens partent mais aussi ceux qu’ils et elles traversent.

En plus, une agence a été créée en 2004 pour réprimer aux frontières : Frontex, d’un budget de 7 millions en 2007, 420 millions en 2020, soit autant de gardes côtes qui refoulent aux frontières et de surveillance haute technologique (satellites, drones, etc.). En parallèle, des fichiers européens de contrôle des étranger·e·s ont été mis en place, comme Visabio (qui regroupe toutes les empreintes des demandeurs de visa) et Eurodac (qui regroupe toutes les empreintes des personnes rentrant sans autorisation dans un pays ou y faisant leur demande d’asile). La surveillance aux frontières et le fichage massif rendent aussi encore plus efficace l’enfermement des personnes qui n’ont pas les « bons papiers » : dans tous les pays européens y a des prisons pour sans-papiers où ils et elles peuvent être enfermé·e·s plus ou moins longtemps (jusqu’à 18 mois en Suisse).

Non seulement les frontières sont externalisées, mais l’enfermement l’est aussi. Les centres de rétention sur le sol européen ne semblent pas suffire, voilà donc des prisons, des centres et des camps qui se développent partout en Libye, au Niger, au Maroc pour ficher et enfermer les migrant·e·s qui tentent de traverser ces territoires. Ces prisons sont l’effet direct des politiques migratoires made in EU4European Union, soit, en anglais, Union Européenne [NDLR].. Union Européenne qui préfère sous-traiter une partie du sale boulot toujours plus loin de ses frontières.

Regard sur les luttes

D’abord, un constat : dans les CRA, des luttes et des résistances, qu’elles soient individuelles ou collectives, il y en a toujours. Ce qui manque le plus souvent c’est de la solidarité à l’extérieur, la capacité de relayer les paroles des prisonnier·e·s en lutte, de s’organiser pour les soutenir. Les rares fois où on entend parler des révoltes à l’intérieur, c’est par des communiqués des flics ou dans les médias dominants (qui reprennent les premiers), où les keufs se plaignent des évasions, de l’insubordination des prisonnier·e·s, des risques pour leur sécurité physique.

Face à cette parole univoque, nous cherchons ici simplement à reproduire les luttes des prisonnier·e·s à l’intérieur des CRA, et celles menées à l’extérieur en solidarité, pour qu’elles puissent rester dans le temps. Nous ne cherchons pas à tracer des bilans ou à apprendre quoi que ce soit aux prisonnier·e·s. Nous pouvons regarder la manière dont les luttes à l’intérieur se transforment, pour essayer de nous coordonner mieux avec elleux et tenter de construire une solidarité plus efficace, pour frapper plus fort.

Le 4 janvier 2019, une nouvelle grève de la faim collective est décidée par des prisonniers du CRA 2A de Vincennes. Un appel à un parloir sauvage en solidarité avec cette lutte est lancé pour le 7 janvier. Suite à ce parloir, une assemblée se lance en Île-de-France. Entre fin décembre 2018 et fin janvier 2019, plusieurs révoltes collectives se suivent et se répondent dans différentes prisons pour sans-papiers : à Vincennes, Mesnil-Amelot puis rejointes par des prisonniers de Oissel et de Plaisir. Jusqu’en mars, là où s’était arrêtée la dernière brochure, des mouvements collectifs continuent d’être lancés par des prisonnier·e·s malgré les tentatives de répression par les keufs de la PAF.

On va essayer de raconter dans cette brochure la suite de ces luttes menées par des prisonnier·e·s et dehors par l’assemblée, même si on sait que les informations qu’on a sont toujours très limitées : nous ne sommes pas au courant de tout ce qui se passe à l’intérieur.

Depuis la dernière brochure les mouvements collectifs ou les luttes individuelles ont continué dans tous les centres de rétention. Que ce soit par des grèves de la faim, des blocages de promenades, des tentatives de bloquer ensemble des expulsions, des incendies des lieux d’enfermement, des révoltes faces aux violences policières.

C’est compliqué d’analyser des périodes de luttes dans les CRA, plein de choses se passent sans qu’on le sache et l’ambiance dans ces prisons pour sans-papiers change rapidement.

Entre chaque lutte collective, plein de prisonnier·e·s tentent de lutter comme ils et elles peuvent pour faire face aux expulsions et a l’enfermement. Lors des expulsions, beaucoup de prisonnier·e·s se révoltent dans l’avion en essayant d’appeler à la solidarité des passager·e·s et des travailleur·se·s.

Aussi il existe une pratique de l’automutilation ou de la prise vénère de médocs comme tentative de résister au vol. Cependant l’État expulse quelque soit l’état de santé des prisonnier·e·s, il essaye juste d’éviter que les personnes meurent pendant le vol.

On observe aussi que le lien entre prison et CRA s’intensifie : toujours plus de personnes entrent en CRA après une peine de prison, et cette année il y a eu beaucoup de procès et d’allers retours CRA-prison pour des révoltes et des tentatives d’évasion. Par exemple, ça a été le cas à Rennes après l’incendie d’un bâtiment (deux personnes ont pris un et deux ans de prison ferme).

Et donc, que faire  ? À Paris une assemblée à lieu tous les mercredis pour s’organiser. Dans pas mal d’autres villes existent aussi des collectifs qui luttent pour la fermeture des prisons pour étranger·e·s.

Concrètement, on continue à montrer notre solidarité de plusieurs façons. Par exemple, à Paris il y a eu plusieurs parloirs sauvages ; on a aussi essayé, quand c’était possible, de nous organiser avec des proches ou avec des collectifs de sans-papiers.

En parallèle, nous avons continué à mettre en place un travail d’information sur les entreprises et les acteurs qui participent au fonctionnement des CRA, des boîtes qui ramènent la bouffe et font le ménage dans les centres, aux guichets (de la Poste, de le SNCF, etc.) qui balancent les sans-papiers, des juges qui prolongent sans cesse la rétention, aux assos qui cautionnent ou collaborent avec les flics dans les prisons pour étranger·e·s. Les CRA existent aussi à cause d’elles !

Nous pensons aussi qu’il est fondamental de faire sortir les paroles collectives et individuelles des prisonnier·e·s et relayer les luttes. Pour ça, nous nous appuyons sur plusieurs supports :

  • Un blog : abaslescra.noblogs.org où on relaye tous les communiqués, témoignages et d’autres infos sur les frontières.
  • La radio : avec l’émission L’Envolée, tous les vendredis de 19h à 20h30 sur FPP 106.3 (en région parisienne). La radio permet aux prisonnier·e·s d’appeler en direct pour raconter leurs luttes et d’avoir des nouvelles d’autres prisons pour sans-papiers.
  • Et un mail pour nous contacter : abaslescra[at]riseup.net.

La suite de cette brochure, qui fourmille de témoignages de luttes, peut être lue sur Infokiosques.


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